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Le Corsaire par l’English National Ballet au Palais Garnier - De la dynamite ! - Compte-rendu

Voilà qui a fortement rafraîchi le plateau du Palais Garnier, un peu alangui entre ses récentes Giselle, des plus mornes, et des essais de danse contemporaine pas toujours enthousiasmants : avec Le Corsaire et l’English National Ballet, voici de la joie pure, de la virtuosité qui ose dire son nom, un recours aux vieilles couleurs orientalistes qui firent le régal des spectateurs, de la Schéhérazade des Ballets Russes, coloriée par Bakst à La Bayadère d’Ezio Frigerio et Franca Squarciapino pour Noureev : bref, un prodigieux divertissement et une démonstration de ce que le plaisir de bouger selon les codes classiques peut engendrer de griserie.
 
Avec toutes les réserves qui s’imposent, bien évidemment, car, pour la Fête de la Musique, celle-ci n’était pas ici à l’honneur : certes, le chef de l’English National Ballet, Gavin Sutherland, a fait ce qu’il a pu avec l’orchestre Colonne, certes, il a procédé lui-même à des modifications dans le patchwork initial, mais on ne pouvait s’empêcher de se dire que l’on avait droit aux derniers outrages. Une mixture, donc, signée pourtant du regretté Adam, magnifique auteur de Giselle, du non moins regretté Delibes, de l’estimable Pugni, sans parler des moins regrettés Drigo, Minkus et quelques autres. Bref un salmigondis de pièces et de morceaux que chaque chorégraphe a enrichi de ses besoins personnels, et malgré quelques mélodies plutôt charmantes, un fourre-tout cabalistique dont il vaut mieux oublier la vulgarité.
 
Reste l’histoire, tirée du poème de Byron, et la superbe chorégraphie elle aussi émergée de nombreuses strates, depuis que Mazilier puis Petipa s’y attelèrent, car l’œuvre de Byron avait fort plu aux romantiques qui découvraient les charmes de l’orientalisme. La version du jour est signée de  Anna-Marie Holmes, chorégraphe spécialisée dans les reconstitutions de hautes pièces du répertoire, et sollicitée en 2013 par l’English National Ballet : elle a fort habilement recollé les morceaux et donné à l’ensemble un ton vif et enjoué, qui permet à chacun de s’exprimer à sa guise.
 
La troupe, elle, est un modèle de mondialisme réussi : il faut dire que depuis ses origines en 1950- elle était alors le London Festival Ballet, mis en place par Dame Alicia Markova, sublime ballerine de style éminemment romantique et le grand danseur Anton Dolin,- elle tourne dans le monde. C’est sa vocation, sa finalité et même si aujourd’hui elle se pose régulièrement pour offrir aux londoniens, notamment au London Coliseum, des échantillons de ses brillantes réalisations, elle continue. Pourtant, on ne l’avait guère vue à Paris récemment et l’Opéra n’avait pas invité de troupe anglaise depuis l’immédiat après guerre. Ses 70 danseurs pétillent de vitalité, de joie de bondir et de virevolter et ne semblent pas rechigner devant le caractère traditionnel de ce qu’on leur donne à danser.
 
 Il est vrai que la production du Corsaire présentée ici, n’a rien des prétentieuses revues Louis-le-quatorzième que consomment les parisiens depuis l’OPA effectuée par Noureev sur les grands ballets du répertoire. La compagnie fourmille de cubains, d’espagnols, de chinois et de japonais. Il doit bien s’y trouver quelques anglais pour l’identité et quelques russes pour la référence ! On ne va donc pas y chercher un style, car ce style est tout simplement fait de grâce et d’éclat, avec au passage des pointes superbes chez les ballerines, et des sauts chez les garçons tout droits sortis des grands concours internationaux. A qui donner la palme ? A la belle Tamara Rojo, étoile de la compagnie et sa directrice, laquelle incarne avec brio l’héroïne Medora et émerveille par ses pirouettes, à l’exquise Shiori Kase, aux ployés moelleux, aux bras enchanteurs,  et parmi les garçons, car ce Corsaire a l’originalité d’aligner quatre rôles masculins majeurs, à l’exceptionnel Cesar Corrales, porteur du fameux costume d’esclave, au beau et princier Isaac Hernandez, en Corrado, au piquant Ken Saruhashi en Lankedem et au fougueux Yonah Acosta en Birbanto ?
 
Ne chercher aucune émotion dans cette parade, mais juste le plaisir de la belle danse, mise en valeur par des atours scintillants- les tissus viennent de divers pays orientaux- et des toiles peintes aux couleurs et aux formes avouées, que n’auraient pas reniées un Bakst ou un Edmond Dulac, dont le décorateur Bob Ringwood  avoue s’être inspiré. Un vrai programme festif qui a enthousiasmé le public, malgré l’aberrante rampe qui cachait les pointes aux spectateurs des premiers rangs.
 
Jacqueline Thuilleux

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Le Corsaire – Paris, Palais Garnier, 21 juin 2016 ; prochaines représentations les 22, 23, 24 e& 25 juin 2016 / www.operadeparis.fr
 
Photo © Ula Blocksage  - Opéra national de Paris

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