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Le Corsaire de Kader Belarbi par le Ballet du Capitole - Comme un beau conte - Compte-rendu

Voilà un ballet qui fait des étincelles, et un directeur d’Opéra heureux : après la première du nouveau Corsaire, Frédéric Chambert a adressé un vibrant hommage au travail accompli par Kader Belarbi à la tête du Ballet du Capitole, hommage qui prolongeait la joie d’un public enthousiaste, nullement pressé de quitter les magnifiques interprètes de cet inattendu retour au style académique et aux légendaires ballets orientalisants qui charmèrent le XIXe siècle. Bien souvent, les relectures de ces standards de l’époque romantique et post-romantique sont osées, provocantes juste pour le plaisir d’une modernisation facile. Quant aux reprises, comme le Bolchoï ou le Mariinsky en ont été coutumiers, elles sont le plus souvent pesantes, ampoulées, et semblent des dinosaures du ballet. Par un miracle de dosage, de souplesse chorégraphique, de richesse d’inspiration iconographique et gestuelle, de fidélité à une grammaire élégante, mâtinée de lyrisme au niveau des bras et de l’expression, d’honnêteté dans la gestion de l’héritage et de ce qu’on peut aujourd’hui encore en retirer, gardant même des souvenirs de pantomime, Kader Belarbi est parvenu à donner vie à son rêve : faire pour le Ballet du Capitole un ballet aux allures classiques, par la découpe, le style et l’argument, tout en l’allégeant et en lui donnant la vitalité d’un rêve que le public de l’an 2013 peut partager, et en prenant soin d’enchaîner les tableaux avec une souplesse cinématographique.

Belarbi, fils d’Orient autant que de France, s’est épanoui avec des œuvres telles que La Bayadère, grand succès de l’époque Noureev et de sa propre carrière d’étoile. Il en demeure incontestablement un souvenir dans la silhouette qu’il donne au sultan de son Corsaire. De Raymonda peut-être aussi, où il fut un fascinant émir. Mais le chorégraphe, qui aime remonter les filons de l’histoire, a aussi rêvé de Sindbad le marin, du Voleur de Bagdad, de la Fontaine de Bakhtchisaraï, des Danses du prince Igor ou de celles de la Khovantchina, sans parler du Schéhérazade de Fokine. Tout cela tourbillonne dans sa mémoire, et c’est un éventail d’images parfumées ou tragiques, à la sensualité souvent cruelle qu’il déroule comme s’il fouillait dans le coffre du Corsaire de la pointe de sa rapière.

Il s’est éloigné de l’argument de Byron, repris par Mazilier pour Le Corsaire créé à l’Opéra de Paris en 1856, il a, avec le concours de David Coleman, chef épris de ballet, et qui dirigeait ici, découpé, étoffé, la partition d’Adam, lui incorporant notamment des pièces de Massenet. On ne s’en plaint pas, notamment lorsque les femmes corsaires exécutent une époustouflante danse du tambourin sur une Marche orientale de Sibelius, les pas grecs y retrouvant une force proche de celle des paysans du Giselle de Mats Ek. Mais il n’a fait aucun emprunt précis, même si son ballet évoque les ombres de la Bayadère, les willis de Giselle et si un certain voile ramène à un imaginaire romantique bien connu, celui de la Sylphide, tandis que le naufrage final nous rappelle la fin ambigüe du Lac des Cygnes, avec sa tempête où les amants s’abîment pour l’éternité.

Voilà donc tout un joli monde d’almées, d’odalisques, de péris, de corsaires, derviches et autres janissaires se poursuivant ou se séduisant sur un fond très épuré, essentiellement lumineux avec juste quelques indications de palais ou de rivage, et tous parés des costumes splendides d’Olivier Blériot, qui parviennent à allier scintillement, opulence, lignes accrocheuses (oh le chapeau conique de la favorite), et légèreté, sans paraître gêner les danseurs, ce qui fut souvent le problème des costumes de Bakst, il y a cent ans, le tout sans kitch ni effets trop ostentatoires. Le Palais d’Orient, pour une fois, ne fait pas souk.

Pour animer toute cette palette, une chorégraphie élégante, vivante, fluide autant que structurée, qui parvient à évoquer le ballet classique en imposant un style personnel, où l’ondulation et la liberté des bras contrebalancent le travail très classique des jambes, avec une impression de naturel confondant. Belarbi a également obtenu de ses danseuses une performance difficile à arracher à des interprètes classiques : la sinuosité d’almées, la cambrure grisée, la souplesse des poignets, là où les plus brillantes danseuses du Mariinsky exposent des ventres musculeux et des dos raides. La volupté imprègne leurs mouvements. Et surtout, pour faire face aux difficultés d’une chorégraphie aussi classique même si elle en évacue les raideurs avec habileté, il fallait des interprètes capables de rigueur autant que de style et l’on constate combien la compagnie toulousaine est aujourd’hui à même d’en remontrer à nombre de troupes internationales, de par l’engagement de tous, l’élégance des lignes - on a noté la beauté des cambrures de pieds. S’y ajoutent des individualités fracassantes, comme David Galstyan, virtuose de grand style, l’impressionnant Takafumi Watanabé en sultan et l’exquise Maria Gutierrez, l’intelligence du mouvement portée à son comble, tant elle vit en une ligne continue le parcours expressif autant que graphique que lui a tracé le chorégraphe. Une des plus grandes ballerines du moment, assurément, qui n’est pas sans évoquer une certaine Monique Loudières, avec plus de modernité incisive. Performance rare que ce spectacle enchanteur, coulé comme un beau conte. On espère que le Capitole rouvrira souvent ce précieux album.

Jacqueline Thuilleux

Toulouse, Théâtre du Capitole, le 16 mai 2013

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Photo : Ballet du Capitole
 

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