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Le Coq d’or selon Barrie Kosky à l’Opéra de Lyon – Et la morale de tout cela est ? – Compte-rendu

 

C’est un petit avant-goût du festival d’Aix-en-Provence que l’Opéra de Lyon nous offre pour la réouverture tant attendue des lieux culturels français. En effet, le public aixois ne découvrira que mi-juillet le spectacle qui termine dans le capitale des Gaules une saison plus que perturbée, qui aura pourtant survécu de captation en captation.
 

© Jean-Louis Fernandez

Après avoir fait ses premiers pas à l’Opéra de Paris avec Le Prince Igor, c’est encore une fois dans le répertoire russe que Barrie Kosky s’illustre. Là où le chef-d’œuvre de Borodine avait été soumis à une actualisation impitoyable, le testament de Rimski-Korsakov reçoit un traitement plus nuancé, qui reflète la nature hybride de la partition, à la fois conte de fées et satire politique, mélange de séductions orientalistes et d’humour parodique. Là où d’autres metteurs en scène n’ont pas hésité à situer l’action dans la Russie d’aujourd’hui, en rapprochant le tsar Dodon de ses modernes équivalents, Kosky choisit fort sagement de ne pas choisir, de ne pas imposer au spectateur une lecture univoque, et sa production, loin d’être une leçon de morale, multiplie au contraire les pistes et les questionnements. Maillot de corps maculé de sang et de sueur, épée à la main et couronne sur la tête, Dodon est comme un double absurde d’Igor tel qu’on la vu à Bastille ; ses fils sont deux bureaucrates, et son armée se compose de chevaux portant jarretelles et bas en dentelle, pions de ce jeu d’échecs dont le tsar est roi, selon la nourrice Amelfa.

© Jean-Louis Fernandez

Androgynie aussi pour l’Astrologue et son coq : tandis que le petit vieillard, eunuque chez Pouchkine, devient d’abord une femme à barbe et à crinoline, et rebascule peu à peu vers le masculin, le volatile, croisement de l’Homme de fer blanc du Magicien d’Oz et de Michel Blanc période Bronzés, porte une chaussure à talon aiguille et pas grand-chose d’autre, et a la voix de la soprano cachée en coulisse. Quant à la reine de Chemakha, elle est tout droit sortie d’une revue de music-hall, avec sa coiffe de plumes de paon blanc digne d’Erté et sa robe de strass à la Marlene Dietrich qui ne dissimule presque rien de ses appâts, sans oublier ses quatre boys venus des Ballets Russes, esclaves argentés en jupette dont la chorégraphie rapproche Nijinsky de Bollywood. Le décor unique est un paysage vallonné et planté d’ajoncs, le coq se perchant sur un arbre sec où les sujets de Dodon semblent échappés d’un carnaval.
 

© Jean-Louis Fernandez
 
La distribution réunie par l’Opéra de Lyon est à la hauteur des exigences de l’œuvre. On en détachera tout d’abord l’étincelante reine de Chemakha qu’interprète Nina Minasyan : à l’indispensable maîtrise du suraigu, la soprano arménienne joint un timbre sensuel qui confère à son personnage une véritable épaisseur. Remarquée ici et là en Filipievna d’Eugène Onéguine, Margarita Nekrasova fait d’Amelfa une redoutable ogresse, tout en prêtant une grande douceur à sa berceuse du premier acte. Maria Nazarova est un coq à la voix pleine, bien moins légère que ce n’est parfois le cas. Dmitry Ulianov assume tout le ridicule de Dodon sans jamais sacrifier la qualité de son chant, ce dont on lui sait gré.  Même sous sa tête de cheval, Mischa Schelomianski fait un sort à chacune des interventions du général Polkan. Si elle impressionne par sa puissance dans une tessiture invraisemblable, la voix Andrei Popov n’en a pas moins des couleurs parfois bien déplaisantes, mais l’Astrologue n’est pas censé plaire, il est vrai.
 
On connaît l’habileté de Barrie Kosky dans le maniement des foules : le Choeur de l’Opéra de Lyon a ici l’occasion de piaffer lorsqu’il est changé en Cavaliers d’échecs, d’évoluer en tchador dans la suite de la reine, et de s’ébrouer en déguisements carnavalesques, avant de revenir en tenue neutre pour déplorer un avenir sans guide après que le coq d’or a tué le tsar qui avait tué l’astrologue. Le tout avec une qualité vocale sans reproche, malgré les masques qu’on espère bientôt lui voir quitter.

Daniele Rustioni © Blandine Soulage-Rocca

Dans la fosse, Daniele Rustioni s’approprie sans peine les sortilèges exotiques d’une partition où Rimski-Korsakov semble récapituler tout son parcours orientaliste, entre Schéhérazade et le chant hindou de Sadko. Le chef sait aussi à merveille souligner les carrures martiales de cette guerre un peu moins en dentelles que d’habitude (au deuxième acte, Dodon jongle avec les têtes coupées de ses fils…) et mettre en valeur l’âpreté grotesque des instruments qui accompagnent la chanson du tsar, où l’on croit déjà entendre Stravinsky, le meilleur des élèves du maître.
 
Laurent Bury

Rimski-Korsakov : Le Coq d’or – Lyon, Opéra, 20 mai ; prochaines représentations les 26, 28, 29, 31 mai, 2 juin & 4 juin 2021 :  www.opera-lyon.com/fr/saison-2021/opera/le-coq-dor-0

Reprise au Festival d’Aix en Provence ( Théâtre de l’Archevêché), les 22, 24 et 25 juillet 2021 : festival-aix.com/fr/evenement/le-coq-dor
 
Photo ©

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