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Le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon face à la crise sanitaire – « Un système que l’on n’avait jamais imaginé »

La vie de directeur de conservatoire au temps du Covid-19 n’est pas un long fleuve tranquille. A la direction du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon (CNSMDL) depuis janvier 2019, Mathieu Ferey (photo) a dû, comme sa consœur Emilie Delorme (1) au CNSMDP, faire face avec ses équipes à la situation totalement inédite engendrée par la crise sanitaire. « Adaptabilité » : tel aura été le maître mot durant une période où il a fallu « entrer dans un nouveau système que l’on n’avait jamais imaginé » pour continuer de répondre autant que possible dans des telles circonstances aux besoins de 656 élèves. M. Ferey salue « l’implication personnelle des enseignants pour la mise en place des cours à distance. Ils ont testé des solutions, des logiciels, inventé de nouvelles méthodes de travail, repensé l’organisation de leurs cours, au prix d’un énorme travail supplémentaire. Il y avait nécessité de trouver des solutions pérennes, parce que nous allons vivre un certain nombre de mois encore avec ce virus. »

Gérer l’urgence
Les bouleversements survenus ont aussi conduit le CNSMDL à expérimenter des solutions qui, constate le directeur, «permettent de résoudre certaines difficultés dans le fonctionnement d’un établissement tel que le nôtre. La visio-conférence entre professeurs, par exemple, offre un moyen très pratique pour réunir des personnes qui ne vivent pas au même endroit et ne sont pas présentes au même moment dans nos murs. »
Reste que les moyens offerts par la technique ont leurs limites s’agissant de la transmission de la musique, art du détail, de la présence sonore, de la respiration commune. « L’élan et l’implication des enseignants ont été formidables mais, nuance M. Ferey, la réalité est que cet enseignement à distance est fait pour gérer l’urgence et qu’il n’est pas satisfaisant du tout. Les outils ne permettent pas de jouer ensemble et tout ce qui relève des activités collectives à été mis en suspend. Prenons le cas de la classe de direction de chœur : on peut travailler un certain nombre de choses à distance pendant un certain temps, mais ne pas travailler en direct avec le chœur n’est pas du tout jouable, même sur un moyen terme. Des problèmes se posent pour la musique d’ensemble, pour la danse aussi. Nous sommes une école d’enseignement du spectacle vivant et s’il n’est pas possible de travailler dans les conditions de celui-ci, cela pose beaucoup de questions. »

Des diplômes par contrôle continu
Quant aux examens de fin de cycle, comme au Conservatoire National Supérieur de Paris, le principe du diplôme par contrôle continu prévaudra à Lyon aussi – «une décision prise très tôt », précise M. Ferey. Le CNSMDL ne néglige pas l’importance symbolique des prestations publiques pour les étudiants et la frustration que leur suppression provoquera immanquablement. Afin de la compenser, l’organisation d’une sorte de « Festival des masters » est envisagée en octobre-novembre pour permettre aux jeunes musiciens qui le souhaiteront de se produire dans ce cadre. Ce sera l’occasion de mettre des talents en lumière, mais aussi de « permettre aux interprètes, de tester un programme de concert, de spectacle, aux compositeurs d’avoir des pièces enregistrées ; autant de choses qui leur serviront dans leur insertion professionnelle, rappelle le directeur. »
 

Le Conservatoire National de Musique et de Danse de Lyon © Blaise Adilon

Concours d’entrée en vidéo
Si le CNSMD de Paris a déjà résolu en grande partie la question des concours d’entrée, les ayant organisés durant les vacances d’hiver, celui de Lyon (où ils auraient dû se tenir en ce moment) les a repoussé au début de l’été et selon des modalités innovantes. « Nous nous orientons vers des concours d’entrée dont tout ou partie sera sur vidéo – réalisée selon un protocole visant à établir une égalité entre candidats. Certains examens auront lieu en présentiel, en septembre, en espérant que les conditions seront moins restrictives qu’elles ne le sont aujourd’hui. Cette formule en vidéo, poursuit M. Ferey, permettra à des candidats étrangers qui ne pourraient se rendre en France du fait des restrictions au transport aérien de se présenter tout de même à Lyon en juillet. »

Mesures pour les étudiants en difficulté
A Lyon, comme à Paris, des étudiants ont été soudainement confrontés à de graves difficultés matérielles du fait de la disparition de divers petits jobs et le Mécénat Musical Société Générale a, ici aussi, fait preuve d’une extrême réactivité. « Il a attribué une quarantaine de bourses qui correspondent à peu près au nombre de cas dans une situation difficile que nous avions repérés, se félicite M. Ferey. Ce dispositif vient compléter les différentes aides que le CNSMDL avait mises en place, tout comme le CROUS ou encore la Métropole de Lyon, qui a débloqué des moyens pour l’achat de matériel informatique destiné aux étudiants.»

L’art est fait de contraintes ...
L’incertitude plane sur la rentrée, mais, s’agissant des concerts publics, le CNSMDL anticipe dès à présent une diminution de la jauge de la salle. « Il est essentiel de continuer à avoir une saison publique en respectant les mesures de distanciation sociale, insiste le directeur. » Des reports ont parfois été décidés, tel celui d’un événement sur l’enseignement culturel en Afrique, initialement prévu en novembre, en collaboration avec les autres écoles d’art de Lyon – il se tiendra vraisemblablement au printemps 2021.
Quant aux enseignements, le CNSMDL travaille à la « mise au point d’un mix entre présentiel et travail à distance. » Une réflexion est également en cours concernant les pratiques d’orchestre ; distance entre les musiciens, plexiglass entre les instrumentistes à vent ... Etrange – sinon surréaliste – rentrée musicale que celle qui se profile un peu partout ...
« L’art est fait de contraintes, cela nous permettra sûrement d’inventer de nouvelles choses », remarque M. Ferey avec philosophie, avant de mettre l’accent en conclusion sur sa volonté et la nécessité « de prêter une grande attention à l’insertion professionnelle des étudiants sortants dans les mois qui viennent. »  

Alain Cochard
(Entretien avec Mathieu Ferey réalisé le 18 mai 2020)

(1) www.concertclassic.com/article/conservatoire-national-superieur-de-paris-une-fin-dannee-au-temps-du-covid-19

Site du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Lyon : www.cnsmd-lyon.fr/

Photo © Blaise Adilon

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