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Le Conservatoire de Musique de Shanghai à Gaveau - Piano d’avenir

Li Jian : ce n’était pour nous qu’un nom parmi d’autres dans la longue liste des anciens lauréats du Concours Long-Thibaud, jusqu’à cette soirée d’octobre 2011 où nous nous sommes rendu au récital du pianiste chinois, organisé salle Gaveau à l’initiative des étudiants de l’UFR de Musicologie de la Sorbonne (1). Poésie, pudeur, toucher raffiné, style irréprochable, virtuosité jamais tapageuse – mémorable 3ème Sonate de Brahms ! - : comme pour tous ceux qui entendaient Li Jian pour la première fois, ce concert fut une superbe découverte – on comprend l’admiration de Zhu Xiao-Mei pour son compatriote. Ce n’est qu’au printemps dernier, à Bruxelles, à l’occasion du Concours Reine Elisabeth dont il était membre du jury, que nous avons rencontré Li Jian ; carrure imposante, expression franche et souriante, français remarquable. On l’a retrouvé fin juillet à Paris alors qu’il achevait les derniers préparatifs de la série « Le Conservatoire de Musique de Shanghai à Gaveau ».

Ancien élève de Pierre Sancan à Paris puis de Mieczyslaw Horszowski au Curtis Institute de Philadelphie, Li Jian est un remarquable pédagogue. Il dirige depuis quatre ans le Département de Piano du Conservatoire de Shanghai. « Depuis 2009, explique-t-il, les moyens financiers du Département de Piano ont triplé. Des instruments ont été achetés, les salles de cours rendues plus accueillantes. Par la volonté du Dr Xu Shuya, Président du Conservatoire, (et compositeur, ancien élève du CNSM de Paris ndr), une partie des financements est également affectée à la promotion de notre établissement. Des actions ont déjà été menées dans plusieurs métropoles du pays ; avec la série de Gaveau, c’est la première fois que le Département de Piano du Conservatoire de Shanghai sera présent hors des frontières chinoises » - par le biais d’un opération impliquant dix élèves et deux professeurs, Li Jian et Li Jie qui, sur son guzheng (un instrument traditionnel à cordes pincées), viendra glisser un zeste de musique chinoise entre Brahms et Chopin dans le cours du programme du 22 novembre.

Longue histoire que celle du piano à Shanghai. « Poussés par la révolution d’octobre de grands professeurs juifs russes s’y sont exilés dans les années 20 et y ont installé une solide tradition pianistique, rappelle Li Jian. Il en fut de même pour le Curtis Institute de Philadelphie, que l’on a jadis décrit comme un “Conservatoire de Saint-Pétersbourg en exil“. Le tout premier directeur du Département de Piano du Conservatoire de Shanghai s’appelait Boris Sakharov. »

Les critères de sélection des jeunes pianistes qui participeront au cycle de Gaveau ? « Le choix des meilleurs, répond Li Jian. J’aurais aimé faire venir de remarquables éléments très jeunes mais les formalités administratives étaient trop compliquées et nous nous sommes donc limités à des musiciens de plus de 18 ans. » Gaveau : le nom de la salle de la rue La Boétie réveille de beaux souvenirs dans la mémoire du musicien… « En 1981, j’avais 16 ans, je suis venu à Paris pour passer le Concours Long-Thibaud où j’ai obtenu le 2ème Prix au terme de la finale, qui se déroulait à Gaveau justement. C’était la première fois de ma vie que jouait sur un bon Steinway ! » Son diplôme en poche, le pianiste repart sans tarder en Chine, mais retrouve Paris dès l’année suivante pour y étudier pendant sept mois auprès de Pierre Sancan – il a obtenu une bourse dans le cadre d’un programme d’échange culturel franco-chinois. Li Jian se souvient avec émotion - et amusement ! - de son professeur, pédagogue remarquable (il travaillera les 24 Etudes de Chopin avec lui) doublé d’un être plein d’humour, blagueur invétéré.

Il se remémore aussi la rencontre avec Josette Samson-François (la Fondation Samson François avait contribué au financement de sa venue en France) dont la personnalité et l’intelligence le fascinaient et l’intimidaient tout à la fois. Elle s’est prise d’amitié pour un jeune artiste qu’elle recevait avec son inséparable interprète – c’était la règle alors pour les artistes chinois travaillant à l’étranger - dans son appartement de l’avenue Raymond Poincaré. L’amitié et l’admiration de Josette Samson-François, Li Jian en prendra pleinement conscience plus tard, une fois sa carrière lancée. Après des concerts aux Etats-Unis, au Japon ou en Italie, il aura la surprise et le bonheur de trouver à la porte de sa loge celle qui, en toute discrétion, avait fait le déplacement depuis Paris pour l’entendre… On comprend que le bis du récital de Li Jian à Gaveau en octobre 2011 fût dédié à sa mémoire.

« Mon séjour parisien en 1982 a eu un impact considérable. Je sais ce que ça a représenté pour moi et je veux que les étudiants du Conservatoire de Shanghai vivent des expériences comparables. Il ne s’agit pas seulement de venir donner un concert à Paris, mais aussi de passer du temps dans cette ville magnifique, de visiter les musées, de marcher dans les rues, d’aller au concert. C’est pourquoi j’ai fait en sorte que le Conservatoire finance non seulement le déplacement des pianistes, mais en plus un séjour de deux semaines qui permettra à chacun de prendre le temps de s’imprégner de l’atmosphère parisienne. Certains d’entre eux ont déjà voyagé ou étudient à l’étranger - deux viennent de New York, un de Philadelphie -, mais ce sera l’occasion d’une première sortie de Chine pour la moitié d’entre eux et d’un premier séjour à Paris pour tous. »

Wang Yijia,Yao Minggu, Xu Quianyi, Wang Yanhao, Zhang Chuhan, Wang Zixiang, Wu Yuhui, Cui Jingwei, , An Yu et Shi Wenting (en solo et à quatre mains avec Li Jian dans la Fantaisie en fa mineur de Schubert, le 30 novembre) : les dix jeunes pianistes qui se succéderont bientôt sur la scène de Gaveau nous sont inconnus, certes, mais ne figurent pas là par hasard. Gageons que de très belles découvertes se profilent. Pour le lancement de la série, Li Jian, musicien complet qui a aussi travaillé la direction d’orchestre avec Jorma Panula, prendra la baguette pour diriger l’Orchestre OstinatO dans un programme concertant au cours duquel Wang Yijia (18 ans), le benjamin de la série, Yao Minggu et Xu Quianyi joueront respectivement le 21ème Concerto de Mozart, le 1er Concerto de Beethoven et le Concerto n°1 de Chopin. Belle entrée en matière pour l’une des plus excitantes propositions classiques du mois de novembre à Paris. Soyez curieux !

Alain Cochard

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« Le Conservatoire de Musique de Shanghai à Gaveau »
8 novembre 2013 – 20h30
WANG Yijia,YAO Minggu, XU Quianyi, piano
Orchestre Ostinato, dir. LI Jian
Œuvres de Mozart, Beethoven et Chopin

15 novembre 2013 – 20h30
WANG Yanhao, ZHANG Chuhan, WANG Zixiang, piano
Œuvres de Scarlatti, Schumann, Prokofiev, Zhang, Wang & Barber
22 novembre – 20h30
WU Yuhui, CUI Jingwei, piano
LI Jie, guzheng
Œuvres de Debussy, Brahms, Xu, Beethoven & Chopin

30 novembre 2013 - 20h30
AN Yu et SHI Wenting (en solo et à quatre mains avec LI Jian), piano
Œuvres de Chopin, Granados, Franck & Schubert
Paris – Salle Gaveau
www.sallegaveau.com

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Photo : Cornelis von Voorthuizen
 

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