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Le Caravansérail interprète Domenico Scarlatti au festival « Musique Sacrée Perpignan » 2024 – Fervente évidence – Compte-rendu

 
À la tête du festival « Musique Sacrée Perpignan » depuis 2013, Elisabeth Dooms est parvenue à hisser celui-ci au meilleur niveau, entourée d’une équipe enthousiaste, et à en faire l’un des très attachants rendez-vous musicaux français de printemps – un festival de Pâques des Pyrénées-Orientales, avec quelques jours d’avance sur le calendrier, en quelque sorte.

Une halte dans la cité catalane l’an dernier, à l’occasion d’un programme anglais du Consort, nous avait permis de percevoir la dynamique qui porte désormais un festival très ancré dans sa ville, associé qu’il est à des structures ou des acteurs tels que le CRR, L’Archipel, l’Orchestre du CRR (en plein essor grâce au chef Mehdi Lougraïda) et l’ensemble de musique contemporaine Flashback (souvent associé à des membres de l’Ensemble Intercontemporain), entre autres. Dynamique qui n’aura fait que se confirmer cette année avec un public nombreux répondant à des propositions aussi qualitatives que variées (et particulièrement accessibles : beaucoup de concerts gratuits et un tarif maximum de 25 €). Le tout dans une atmosphère chaleureuse, amicale, curieuse et sans chiqué (le « village » du festival, attenant à l’église des Dominicains, est une réussite).
 

© Michel Aguilar
 
Après le concert de fin d’après-midi et la belle découverte du jeune et excellent Quintette Diablo, un ensemble à vent dont les membres sont tous issus du CNSMD de Paris (1), la soirée du 22 mars, toujours à l’église des Dominicains était placée sous le signe de la musique italienne baroque, confiée au Caravansérail (dont c’était la première venue au festival.)
Avec un programme Domenico Scarlatti (1685-1757), bâti autour du Stabat Mater en ut mineur – programme tout à la fois sacré et profane mais d’une cohérence musicale irréprochable –, Bertrand Cuiller a livré l’an dernier (chez Harmonia Mundi) un disque indispensable à la lettre S de toute bonne discothèque.(2) Le concert perpignanais offrait l’occasion aux interprètes de revenir au Stabat Mater, cette fois placé dans un contexte toujours scarlattien mais entièrement sacré puisqu’il était précédé de la Messe en sol mineur dite « de Madrid » et du Te Deum (rattaché lui aux années lisboètes du compositeur).
 

Jean-Luc Ho © Michel Aguilar
 
«  Je fais de la musique avec des gens avec lesquels j’ai vraiment envie de travailler », confie Bertrand Cuiller : la cohésion qu’il imprime à son ensemble et l’énergie partagée qui l’anime sont perceptibles dès le Kyrie de la Messe de Madrid. Modèle de stile antico, la pièce pourrait aisément verser dans la raideur, n’étaient la sensibilité et le sens de la couleur qui accompagnent toujours l’approche du chef, d’une clarté polyphonique d’autant plus prononcée que les chanteurs qu’il a réunis (3) présentent chacun une personnalité vocale bien affirmée. Et l’on est autant convaincu par l’ardeur et le relief du Credo que le confiant apaisement de l’Agnus Dei.
 
Avec Bérengère Sardin (harpe), Bruno Cocset (violoncelle), Benoit Vanden Bemden (contrebasse) et Jean-Luc Ho (orgue), Bertrand Cuiller peut compter sur un continuo d’un dynamisme exemplaire. Au terme de la messe, Jean-Luc Ho reste au positif et interprète la Sonate K. 30 de l’Italien (en sol mineur, comme l’ouvrage qui vient de se refermer). Excellente idée : ce Moderato en forme de fugue offre une transition, étrange et labyrinthique, jusqu’au radieux Te Deum. Intense, lumineux, celui-ci se déploie avec un souffle proprement solaire dans le vaste espace des Dominicains.
 

© Michel Aguilar
 
Le Stabat Mater (à dix voix) conclut et souligne le rapport totalement fusionnel que le chef entretient avec une partition d’un style plus libre et plus immédiatement parlant que celui de la Messe de Madrid. Pas un détail de la partition –  souvent donnée en concert par le Caravansérail depuis quelques mois – n’a de secret pour Bertrand Cuiller. Pourtant, aucun signe de routine, aucune trace d’habitude pointedans son exécution ; tout au contraire – parce que le propos sait continûment s’appuyer et rebondir sur les points de tension harmonique – on y savoure un émerveillement, une ferveur et une italianità irrésistibles.

Domenico Scarlatti ? 555 sonates, mais pas que ... Sachons gré aux interprètes de l'avoir si bien rappelé !
 
Alain Cochard
 

(1) Lire le CR : www.concertclassic.com/article/le-quintette-diablo-au-festival-musique-sacree-perpignan-2024-le-souffle-du-talent-compte

(2) Harmonia Mundi 905 340

(3) Cécile Achille, Hasnaa Bennani, Marie Planinsek, Anaïs Bertrand, Léo Fernique, Leandro Marziotte, Olivier Coiffet, Antonin Rondepierre, Etienne Bazola, Nicolas Certenais
 
Perpignan, église des Dominicains, 22 mars 2024

Photo © Michel Aguilar

> Voir les prochains concerts "Scarlatti" en France

 

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