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Le Bourgeois gentilhomme aux Nuits de Fourvière - Dialogue entre les arts - Compte-rendu

Modestie des décors, jubilation des comédiens, acuité dans les situations, Le Bourgeois gentilhomme dont Denis Podalydès signe la mise en scène est un modèle d'intelligence théâtrale. Enlevé, subtil, porté par une troupe de jeunes comédiens on ne peut plus homogène, ce tableau de mœurs brillant ne méprise jamais son Monsieur Jourdain (extraordinaire Pascal Rénéric), traitant avec autant de sincérité sa soif d'apprendre que son ignorance la plus crasse. Mais si le spectacle surclasse nombre de Jourdain récents (et ils sont nombreux !), c'est parce que Denis Podalydès, nonobstant des passages d'une légèreté désopilante, a pris le genre de la comédie-ballet très au sérieux. Il ne faut pas oublier que Molière a écrit Le Bourgeois gentilhomme en introduction au Ballet turc ridicule que Louis XIV avait commandé à Lully, et non l'inverse.

Podalydès signifie d'entrée de jeu la primauté de la musique en ouvrant son spectacle par une chanteuse seule en scène, a capella, révisant sa ligne de chant en corrigeant la partition posée sur son pupitre. À partir de là, toutes les entrées vont être traitées en musique, à commencer par celle de Monsieur Jourdain, tout sourire, au son d'une chaconne tournoyante, descendant de ses draperies familiales pour investir la scène avec la soif de connaissance d'un affamé de diplômes.
La grande réussite de ce spectacle, c'est d'utiliser la musique pour créer l'action et déplacer ses personnages en mêlant constamment le langage des deux Baptiste, Lully et Poquelin. Là où la langue de Molière n'aurait pu être parfois qu'un tunnel de dialogues, la musique lui redonne tout son sens, notamment lors du très beau ballet amoureux de Cléonte, se transformant en ritournelle où mots et musiciens se font écho.

Pour réussir la conjugaison entre théâtre et musique, Podalydès s'est adjoint les services de Christophe Coin et de l’Ensemble baroque de Limoges. Si l'on peut regretter parfois un manque de percussions et de danse (nous ne sommes pas chez Minkowski ou Savall), le travail musicologique est, lui, exemplaire, complétant les ballets de Lully par nombre de pièces françaises de l'époque, portés par un trio de chanteurs impeccable. Au milieu du rire, le spectacle ne perd jamais sa capacité d'émerveillement, notamment lors de la célèbre Cérémonie des Turcs, traitée comme ce qu'était alors la comédie-ballet : un rêve de spectacle total. Au cœur de la comédie, Podalydès se permet même quelques moments bouleversants, comme le solo de la chorégraphe Kaori Ito, sur un lamento de désolation. Loin de rallonger inutilement la pièce comme on l'entend trop souvent, la musique ici redonne tout son sens à une œuvre qui, sous couvert de satire et de comédie, reste un des plus malicieux dialogues entre les arts. Après une telle réussite, fini les Bourgeois sans musique !
Notez que le spectacle sera bientôt repris à Paris (Théâtre des Bouffes du Nord, du 19 juin au 21 juillet), avant d’occuper cet automne la scène de l’Opéra royal de Versailles.

Luc Hernandez

Molière/ Lully : Le Bourgeois gentilhomme – Lyon, Nuits de Fourvière, 5 juin 2012.
Reprises à Paris (Théâtre des Bouffes du Nord) du 19 juin au 21 juillet,
puis à Versailles (Opéra royal) du 19 au 21 novembre 2012.

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Photo : Loll Willems
 

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