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La Walkyrie retransmise à la Géode - Festin wagnérien - Compte-rendu

Les New-Yorkais ont bien de la chance d’avoir pu faire ce somptueux festin wagnérien, commencé en septembre 2010, grâce à Robert Lepage, le Québécois polyvalent, capable de travailler aussi bien pour le Cirque du Soleil que pour le plus classique de l’opéra, du théâtre ou de la danse (l’Eonnagata de Sylvie Guillem). La rediffusion qu’en propose la Géode est un cadeau. Lepage, on le sait, a beaucoup proclamé son désir de recourir à des technologies interactives, les seules capables aujourd’hui de rendre vie à la fantasmagorie wagnérienne sans tomber dans le ridicule ou le détournement. Et il y a magnifiquement réussi pour cette Walkyrie, sans doute inégalable à ce jour. On insistera surtout sur la glorieuse et intelligente simplicité des visions de forêts et de montagnes, non surchargée d’inutiles symboles ou clins d’œil -la dramatique wagnérienne n’en est-elle pas déjà bourrée ? - avec notamment une image splendide de Siegmund adossé au tronc dans lequel est plantée Notung, et la tirant lentement, en parfaite symbiose avec la musique. Il faut dire qu’il a le charisme de Jonas Kaufmann, lequel marquera à tout jamais le rôle de son lyrisme et de sa sensibilité.

Images fortes, lumineuses et superbement cadrées, avec des personnages dirigés en finesse, et une vérité plus psychologique que symbolique, ce qui semble essentiel dans cette histoire surtout intime, malgré son apparat mythique. Dans des costumes qu’on peut qualifier d’idéaux tant ils campent les personnages de légende sans les rendre grotesques, les chanteurs rassemblent ce qu’on peut trouver de mieux à l’heure actuelle, de Kaufmann, bien sûr à la splendide Eva Maria Westbroeck, Sieglinde sensuelle et puissante à la fois. Splendeur aussi de Hans Peter König en Hunding et de Stephanie Blythe, Fricka impitoyable et dominatrice, bien plus que certaines Hanna Schwarz ou Waltraud Meier, jouant sur la séduction. Enfin, une Walkyrie à la fois éclatante et fine, Deborah Voigt, inusable, face à «  l’hénaurmité » de Bryn Terfel, dont c’était la prise de rôle en Wotan. On sait son charme, malgré son physique d’ogre atypique, mais il y ajoute ici une vibration émotionnelle qui confine au grandiose. Bouleversant. Et dans aucune de ces voix phénoménales, pas une seconde de faiblesse, pas une faille.

Reste que comparée aux retransmissions dans des salles traditionnelles, l’immensité des images projetées à la Géode nuit à la concentration et projette quelque chose de presque obscène, dans l’intimité qu’elle donne des chanteurs, dont les visages semblent parfois des gueules entrouvertes prêtes à vous dévorer. Mais il y a la baguette de James Levine pour lier et emporter le tout : incandescente, d’un lyrisme fou, d’un urgence affolante, parfois un rien trop en regard de ses autres Walkyries, comme si le rêve, qui se glisse pourtant dans cette furia épique, n’avait plus sa place dans son galop vers l’abîme. On est noyé, fasciné, transcendé. Wagner, enfin tel qu’en lui-même, comme on l’aime et comme on le respecte, sans se disperser. Le festin se poursuit le 12 juin avec Siegfried et le 14 avec Le Crépuscule.

Jacqueline Thuilleux

Wagner : La Walkyrie - Géode de la Villette, retransmission de la production du Metropolitan Opera de New York, 7 juin 2012.
Retransmission de Siegfried, le 12 juin (à 19h30) et du Crépuscule des Dieux, le 14 juin (à 19h30). www.lageode.fr

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Photo : DR
 

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