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La Traviata au Liceu de Barcelone – Parfaite identification - Compte-rendu

La Traviata de David McVicar, d'un classicisme assumé, peut être vue comme un hommage à Visconti qui, en son temps, avait choisi de déplacer l'action de quelques décennies pour la situer dans le Paris décadent de la grande bourgeoisie de la IIIème République et offrir à Maria Callas l'une de ses incarnations les plus marquantes.
 
Chez McVicar, Alfredo est en deuil et vient se recueillir sur la tombe de Violetta par une triste journée d'automne, pierre tombale sur laquelle va bientôt se rejouer l'histoire de cet impossible amour, gravé à la fois dans la mémoire de l’amant et sur la surface du marbre gris. Présente à tout moment, la mort est ainsi la compagne de Violetta qui, malgré l'amour et une courte rémission finira son existence emportée par la tuberculose. Dans un écrin tendu de lourds rideaux où tente de se lover, ou de se débattre l'héroïne, Patrizia Ciofi qui avait déjà illuminée de sa présence cette production donnée à Genève en 2013, demeure insurpassable.
 
Son implication vocale et dramatique est si forte, son identification au personnage si puissante que les frontières entre fiction et réalité s'estompent presque totalement. Luttant contre sa condition et la maladie qui lentement la ronge, sa Violetta se lance à corps perdu dans une illusoire ode à l’amour et à la liberté « Sempre libera », puisant très loin dans ses ressources, signe avant-coureur du sacrifice qu'elle devra bientôt réaliser. Transformée physiquement par l'amour d'Alfredo au second acte, c'est une femme noble et digne, comme lavée de tout soupçon qui se dresse devant la figure implacable de Germont père, pour lequel elle consent à retrouver sa vie d'avant, trouvant pendant le « Dite alla giovine » puis « Morro, la mia memoria » des accents plus vrais que nature, avant de quitter celui qu'elle aime sur un déchirant « Amami Alfredo ».
 
 Mais c'est bien sur au dernier acte que la tension monte d'un cran. Sur son lit de mort, crachant du sang dans un mouchoir souillé, Ciofi ne joue plus, elle est Violetta. Mourante et pathétique, prématurément usée, pouvant à peine se mouvoir, ou relire cette lettre qu'elle connaît par cœur, ce n'est plus de chant qu'il s'agit, tant la comédienne est immense et prend le dessus sur les contingences techniques. Et pourtant quelle maîtrise de la ligne, du souffle, quel soutien pour animer ces mots et ces notes qui enflent et se réduisent pour finalement se perdre dans l'espace pendant ce sommet d'intensité musicale que requiert l'« Addio del passato », peut être le plus beau qu'elle ait donné à ce jour. Epoustouflant.
 
Par chance le couple qu'elle forme avec Charles Castronovo est extrêmement convaincant. Avec des physiques si avantageux et si crédibles, difficile de ne pas croire à leur coup de foudre et à la passion qu'ils partagent. Ténor à l'émission ardente et au timbre singulier, Castronovo chante avec une étonnante facilité, même les passages les plus exposés (comme cette fameuse cabalette « O mio rimorso »), avec une totale sincérité.
Remarquable au second acte où il passe par toutes les émotions, il est l'un des rares Alfredo à qui l'on pardonne son geste inconsidéré envers Violetta chez Flora, tant il est écrasé par la douleur. Vladimir Stoyanov n'a sans doute pas la stature vocale d'un Ludovic Tézier, mais son Germont possède en plus d'une certaine allure, une belle tenue et une réelle musicalité qui devraient le hisser rapidement parmi les grands barytons de sa génération.
Ravissantes Flora et Annina de Gemma Coma-Alabert et Miren Urbieta Vega, chœurs magnifiquement en place complètent la distribution.

Dernier point fort de la soirée, l'Orchestre Symphonique du Liceu admirablement conduit par Evelino Pido qui insuffle au drame, grâce à un tempo soutenu, une incroyable nervosité et montre à chaque instant une pensée organique et un sens de l'architecture parfaitement dosés : de beaux débuts au Liceu pour ce chef reconnu. Pour le reste, un spectacle inoubliable.
 
 
François Lesueur
 
Verdi : La Traviata – Barcelone, Gran teatre del Liceu, 26 octobre, prochaines représentations les 28 (avec Elena Mosuc) et 29 octobre (avec P. Ciofi) 2014. Reprise du 8 au 18 juillet 2015 (avec E. Mosuc et A. Pérez) / www.liceubarcelona.cat
 
 
 

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