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La Roque d'Anthéron - Compte-rendu - Olli Mustonen : un excentrique dans la tempête

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Toujours cette même image. Saisissante. Ce grand piano aux fières lignes noires posé comme un roi sous la conque immaculée du Parc de Florans. Sur le point d’affronter la nuit, le mistral et le murmure des cigales, encore muet et immobile, mais déjà tout entier tendu vers celui ou celle qui va venir le prendre et le faire vibrer. Mystère éternel de la musique, renouvelé chaque soir dans l’écrin sauvage du Festival de La Roque d’Anthéron.

A l’honneur ce 7 août, le pianiste finlandais Olli Mustonen avec en prologue les 10 Pièces op 58 de son compatriote Sibelius. Un style vaguement impressionniste caractérise ce cycle trop souvent boudé par les grands interprètes. Dommage, car servies par un toucher inspiré, ces miniatures révèlent un charme et un caractère inattendus ; elles rappellent même quelques perles schumanniennes. Trouvant ici répertoire à son pied, Olli Mustonen s’applique à souligner les moindres intentions de Sibelius - au prix d’une gymnastique relevant parfois plus de la natation synchronisée que du geste pianistique. Mais peu importe pourvu que la concrétisation sonore soit au rendez-vous. Lui-même compositeur, il donne constamment l’impression de re-créer l’œuvre, témoignant d’une insatiable curiosité et d’une brûlante envie de jouer. Lorsque la main ne touche pas le clavier, elle continue de se mouvoir dans les airs comme habitée par quelque énergie incoercible. Ce ballet fort original donne naissance à une sonorité tantôt fondante et onirique (Rêverie, Du Soir, Chant d’été…), tantôt mordante et incisive (Scherzino, Chant du pêcheur, Sérénade…). Plongeant instantanément d’une atmosphère à l’autre, Mustonen forge également son rôle de musicien-conteur à l’aide d’un jeu de pédale subtilement dosé.

Bien qu’animées d’un tout autre esprit, ces qualités se retrouvent dans les cinq sonates de Scarlatti choisies par le pianiste. Pas d’originalité à tout prix mais des phrasés franchement inédits et des attaques d’une précision sidérante. Le mistral souffle désormais en rafales mais il en faut apparemment plus pour entraver la quiétude d’Olli Mustonen. Sereine et intérieure, la sonate en si mineur (K87) précède la sol majeur (K146) dans laquelle le pianiste déploie un jeu vif et arachnéen. Suivront les sonates K127 et K175, puis, frappée du sceau de la délicatesse, la sonate en mi majeur (K380).

Cette créativité débordante est également perceptible dès les premières mesures de la Sonate n°1 op.28 de Rachmaninov, œuvre particulièrement fougueuse et disproportionnée. Dans un engagement sans réserve et avec force rafales de traits, Olli Mustonen s’empare de l’Allegro moderato en énonçant le premier thème comme l’eût fait un écorché vif. Une main gauche efficace martèle de lourds accords dans le grave et le mouvement entier se voit traversé par de larges épisodes volcaniques. L’Andante apparaît alors comme une île paisible épargnée par la tempête. Mustonen, paré de ses grands gestes aériens, y sculpte un son délicieux et flottant.
Repos de courte durée puisque survient déjà l’Allegro molto final dans lequel le pianiste prend des risques de tempi et de phrasés hallucinants. Comme quoi, il n’y a finalement que ceux qui osent qui touchent vraiment.

Nicolas Nativel

7 août 2005, Festival International de Piano de La Roque d’Anthéron

Photo: BR
 

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