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La Représentation de l'Âme et du Corps par René Jacobs - Droit de Cité pour Cavalieri - Compte-rendu
Au tournant des XVIème et XVIIème siècle, la musique en Occident prend un tout autre visage, passant d'un contexte encore fortement lié au monde médiéval à la modernité du stile nuovo. Et dans le même temps que l'opéra, l'idée de l'oratorio prend corps à Rome, en phase avec les orientations de la Contre-Réforme qui prétend concilier l'Evangile et le culte des arts par le jeu d'exercices dévots où prédication, musique et méditation sont associées à la prière.
Dès lors, Emilio de' Cavalieri (vers 1550 – 1602), familier de ces manifestations (il fut auparavant surintendant des spectacles à la cour des Médicis à Florence), va songer à faire entrer le principe du chant monodique dans un type de célébration édifiante qui s'ouvrira en peu d'années à l'oratorio en tant que tel. Et c'est, en février 1600, la Rappresentazione di Anima e di Corpo donnée en l'église Santa Maria in Vallicella : non pas exactement un oratorio, mais plutôt un avant-modèle qui implique comme l'opéra (l'Euridice de Peri est de la même année) une dimension théâtrale et visuelle où le stile recitativo se fait outil rhétorique, imité, en toute occasion, de la parole.
En tout cas, rehaussée de nombreux choeurs homophones, source de contrastes stimulants, la partition ne pouvait que retenir la curiosité de René Jacobs, inlassable explorateur de l'avant-garde du passé. Certes, une vraie mise en scène est difficile à réaliser, parce qu'exigeant plusieurs espaces de jeu et des machineries sophistiquées. Reste que le Gantois est quasiment ici dans son jardin, aux origines du Baroque naissant (de Monteverdi à Peri et Caccini) pour entretenir l'illusion «représentative» en un prologue, trois actes et quatorze personnages allégoriques; sans préjudice pour le message chrétien et humaniste délivré dans le même temps sur la vanité du monde.
Aussi bien, très attentif à cet aspect moralisateur de l'exhumation, Jacobs, à la tête d'un imposant collectif (Concerto Vocale, Akademie für alte Musik et choeur du Staatsoper de Berlin), marie à bon escient la lettre et l'esprit, le coeur et l'âme. Pour autant, le déterminisme y menace parfois, qui nous entraîne hors de la spiritualité romaine et de ses élans pour une reconstitution expérimentale peu soucieuse d'italianité (rappelons que la Rappresentazione se termine sur une festa en forme de ballo). Dommage pour le savoir-faire encyclopédique du maître d'oeuvre et les rares vertus d'un concert vocal dominé par le chant vibrant de Marie-Claude Chappuis dans le rôle de l'Âme, et celui, pétri d'humanité, de Johannes Weisser dans le rôle du Corps.
Roger Tellart
Paris, Cité de la Musique, 22 juin 2012
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Photo : Harmonia Mundi
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