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​La Princesse jaune de Saint-Saëns / Djamileh de Bizet à l’Opéra de Tours – Nous sommes deux sœurs jumelles – Compte-rendu

L’un est Egyptienne, l’autre est Japonaise, mais elles sont jumelles. L’une s’appelle Djamileh et donne son nom à un opéra, l’autre se prénomme Ming (curieux, pour une Japonaise) mais ce n’est pas le titre de l’œuvre. Elles ont un père en commun, le librettiste Louis Gallet, et sont toutes deux nées Salle Favart, presque le même jour : Djamileh de Georges Bizet a été créé le 22 mai 1872, La Princesse jaune de Saint-Saëns le 12 juin de la même année. Et ces deux opéras en un acte, trop rarement joués, l’Opéra de Tours a eu l’excellente idée de les programmer en une seule soirée, avec la complicité du Palazzetto Bru Zane.
 

Djamileh © Marie Pétry
 
Deux Orientales, donc. Mais deux orientalismes bien différents. Chez Saint-Saëns, l’action se déroule aux Pays-Bas, et le Japon n’est qu’un objet de fantasme, imaginé à partir de livres et d’images. Ce qui n’empêche pas le doux rêveur Kornélis d’adopter vis-à-vis de sa princesse exotique un discours conquérant qui préfigure étonnamment celui que tiendra Pinkerton un bon quart de siècle plus tard : « Je t’ai prise enfin ! … Je te sens tremblante / Frémir dans mes bras. Captive charmante, / Ne t’envole pas », voilà qui est tout proche de « Tenue farfalla … Io t’ho ghermita / Ti serro palpitante ». Chez Bizet, en revanche, nous sommes en Orient, c’est-à-dire nulle part, dans un harem dont le maître change d’esclave favorite chaque mois.
 

Djamileh - Sahy Ratia (Haroun) & Aude Extrémo (Djamileh)

De là à vouloir balancer ces porcs que sont Kornélis et Haroun, il n’y avait qu’un pas, qu’a eu l’intelligence de ne pas franchir la metteuse en scène Géraldine Martineau, pensionnaire de la Comédie-Française depuis octobre 2020. Dans les deux cas, l’intrigue est transposée de nos jours, mais sans actualisation excessive (il reviendra à d’autres de transformer Ming en virtuelle héroïne de manga ou Djamileh en Afghane). Le décor sobre évoque l’Orient à travers les moucharabiehs et une grande table à mezzés pour Bizet, avec une grande toile peinte pour Saint-Saëns. Le choix de limiter l’action à l’avant-scène pour La Princesse jaune gêne parfois les déplacements des deux personnages, mais l’action est menée avec beaucoup d’habileté dans Djamileh, notamment le moment délicat du ballet (en cette troisième représentation, la danseuse, malade, est remplacée au pied levé par Elisabeth Calleo, assistante à la mise en scène).
 

Laurent Campellone © Marie Pétry
 
A la tête de l’Orchestre Symphonique Région Centre Val-de-Loire/Tours, Laurent Campellone a la sagesse de ne pas forcer le trait, ni l’exotisme de ces partitions, beaucoup plus net chez Saint-Saëns. Bizet est à la fois beaucoup plus ambitieux – Djamileh est une œuvre musicalement plus consistante, avec de très longs passages intégralement chantés – et moins audacieux, l’orientalisme se limitant aux mélismes de la chanson « Nour-Eddin, roi de Lahore » et au ballet, mais son œuvre possède un souffle dramatique que n’a pas tout à fait l’opéra-comique de son aîné.
 

La Princesse jaune - Sahy Ratia (Kornélis) & Jenny Daviet (Léna) © Marie Pétry

Vue en Mélisande à Malmö, Jenny Daviet campe une Léna énergique et se tire fort bien de ses longs dialogues versifiés. Passant de La Dame blanche il y a quelques mois à La Princesse jaune cette rentrée, Sahy Ratia cumule les deux principaux rôles masculins de la soirée, où il confirme toutes ses promesses, dans un répertoire aux exigences bien différentes de Boieldieu. Sa voix aux couleurs claires se prête aux quelques moments de vaillance voulus par Saint-Saëns et sait traduire l’ardeur que Bizet demande à Haroun. Philippe-Nicolas Martin est physiquement bien jeune pour incarner le « vieux précepteur » Splendiano, mais vocalement superbe. Aude Extrémo, enfin, remporte un triomphe grâce à la grande sensualité que son timbre grave confère à Djamileh, en savant contraste avec la pudeur de son jeu scénique, et avec la sobriété de sa cape noire et de sa capeline remplaçant les voiles prévus par le livret.
 
Laurent Bury

Saint-Saëns : La Princesse jaune / Bizet : Djamileh – Tours, Opéra, 5 octobre 2021 / Reprise l’Atelier Lyrique de Tourcoing les 19, 21 et 22 mai (sous la direction de F.X. Roth) / www.atelierlyriquedetourcoing.fr/bizet-djamileh-saint-saens-la-princesse-jaune-19-21-22-mai-2022/
 
Photo © La Princesse jaune - Sahy Ratia (Kornélis) & Jenny Daviet (Léna) © Marie Pétry

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