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La Philharmonie de Paris célèbre Olivier Messiaen – Des oiseaux aux étoiles – Compte-rendu

La neige qui tombait sur Paris, en ce dimanche d'avant-printemps, n'avait pas dissuadé les mélomanes de venir assister dès l'aube au premier des quatre concerts consacrés au Catalogue d'oiseaux d'Olivier Messiaen, sous les doigts experts de Pierre-Laurent Aimard (photo). A six heures du matin, le grand studio de la Philharmonie, au troisième étage, affichait complet pour ce lever du jour salué en fanfare par le Traquet stapazin (un volatile du Roussillon), son cousin le Traquet rieur, et la Bouscarle (une fauvette des Charentes, « rageuse et invisible»). Affluence réconfortante, qui prouve qu'une initiative sortant intelligemment des sentiers battus trouve un public toujours disponible.
 
La passion d'Olivier Messiaen pour les chants d'oiseaux est une constante de sa vie, autant que sa foi catholique. Pendant deux ans, d'octobre 1956 à octobre 1958, cette passion prend un tour systématique. Accompagné d'Yvonne Loriod, son interprète et sa muse (avant de devenir sa femme en 1962), le musicien ornithologue parcourt la province française, enregistrant et notant, dans chaque région, le ramage de l'oiseau autant que son plumage, son habitat autant que les jeux de lumière aux différentes heures du jour. Comme l'explique Pierre-Laurent Aimard (remportant à 16 ans le   Concours Messiaen, engagé à 19 ans par Pierre Boulez dans l'Ensemble intercontemporain), ce systématisme est la réponse d'Olivier Messiaen au sérialisme intégral que pratique au même moment la jeune génération de compositeurs passés par sa classe d'analyse rue de Madrid (Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen, Jean Barraqué).
Toutes les ressources sonores du piano sont explorées et exaltées : « timbre de clavecin mêlé de gong » pour l'Alouette lulu, une soliste du Forez, « comme un cri d'enfant assassiné » pour la Chouette hulotte, fantôme nocturne des bois d'Orgeval. Dans cette vaste volière, deux spécimens ont particulièrement inspiré Olivier Messiaen. D'abord le Loriot, avec un t, destiné, secrètement, à Loriod avec un d (Yvonne, son interprète et sa muse, avant de devenir sa femme en 1962) : « son chant comme un rire de prince étranger, évoquant quelque planète inconnue, remplie de sourires à la Leonard de Vinci » ...  Et, à l'opposé, le Courlis cendré, hôte sinistre de l'île d'Ouessant, exprimant « toute la désolation tragique des paysages marins ».

Matthias Pintscher © mattiaspintscher.com

Le musicien n'a pas limité ses relevés ornithologiques à la France : il les a accomplis dans tous ses voyages, notamment aux Etats-Unis, durant ses pérégrinations dans le Colorado et dans l'Utah, pour répondre à la commande de Des Canyons aux Etoiles.En prélude au Catalogue, l'Ensemble intercontemporain interprétait deux jours plus tôt cette vaste fresque sous la direction d'un Matthias Pintscher moins à l'aise et moins  convaincant qu'à son habitude. Mais l'Appel interstellaire, au centre de l'œuvre, résonnait superbement. Pour ce long solo de cor, Olivier Messiaen réutilise un hommage composé en avril 1971 à la mémoire du compositeur Jean-Pierre Guézec, un de ses anciens élèves, décédé brutalement un mois plus tôt, à l'âge de 36 ans. Page virtuose, d'une noire et douloureuse amertume, à laquelle Jean-Christophe Vervoitte, cor solo de l'Ensemble intercontemporain, prêtait une gravité bouleversante, toute baudelairienne — « Un vieux souvenir sonne à plein souffle du cor » (Les Fleurs du mal, Le Cygne). 
 
Gilles Macassar

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  Philharmonie de Paris, 16 mars et 18 mars (de 6h à 22h) 2018

Photo © www.pierrelaurentaimard.com

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