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La Petite Renarde rusée à l’Opéra national du Rhin - Poésie et fluidité - Compte-rendu

Heureux Marc Clémeur, aujourd’hui directeur de l’Opéra national du Rhin, qui, alors qu’il occupait des fonctions similaires à l’Opéra des Flandres au tout début des années 1990, avait fait confiance à un jeune metteur en scène pratiquement inconnu, Robert Carsen. Il voyait juste. Fort de la relation nouée à ce moment-là, le patron de l’institution alsacienne a pu confier un cycle Janacek à l’un des artistes désormais parmi les plus demandés du monde lyrique. Après Jenufa, L’Affaire Makroupoulos et Katia Kabanova, c’était au tour de La Petite Renarde rusée d’occuper le Canadien.

Carsen est de ces adultes qui ont su garder un part d’enfant en eux. Avec La Petite renarde, il entraîne le spectateur dans le plus merveilleux des contes. Aussi simple qu’évocatrice, la scénographie (décors et costumes très réussis de Gideon Davey, lumières d’une subtilité toute carsenienne) souligne avec une rare prégnance le sentiment de la nature éternellement recommencée. Les masques d’animaux sont restés au magasin des accessoires et Carsen a en outre pris le parti de restreindre les espèces animales aux mammifères et aux oiseaux ; choix qui n’altèrent en rien, bien au contraire, la lisibilité de l’action et ajoutent à la parfaite fluidité de son travail. Changements de décor à vue : les actes I et II s’écoulent comme dans un rêve où les humains, assez patauds, côtoient une nature frémissante de vie - toute la forêt copule en chœur, et joyeusement, à la fin du II ! Car la conception de Carsen est aussi emplie de détails piquants (petite miction de la Renarde au-dessus de l’entrée du terrier pour en expulser le blaireau…), pimentée d’un humour aussi efficace que dénué de vulgarité. Quant au III, il passe de la neigeuse blancheur de l’hiver à la verdeur de la belle saison de façon aussi ingénieuse qu’esthétique.

Plateau parfait d’homogénéité. Scott Hendricks a certes la carrure physique et vocale du Garde-Chasse mais parvient surtout à révéler toute la richesse et la complexité de son personnage. Rosemary Joshua campe une Renarde irrésistible de fraîcheur, de charme et de vitalité, idéalement appariée au séduisant Renard d’Hannah Esther Minutillo - dénués de tout oripeau animalier, ils n’affirment que mieux leur foncière liberté face aux humains. Gijs Van der Linden (L’Instituteur), Enric Martinez-Castignani (Le Curé/ Le Blaireau), Martin Barta (Harasta) dessinent leurs rôles respectifs d’un trait ferme mais jamais forcé. Corinne Romijin (La Femme du Garde-Chasse), Aline Martin (Le Chien/Lapak) ou Anaïs Mahikian (Le Coq/Le Geai) composent elles aussi de savoureux personnages, à l’image de toute une équipe à l’unisson d’un spectacle aussi subtil qu’émouvant (Les chœurs et la Maîtrise de l’OnR ont été respectivement préparés par Michel Capperon et Philippe Utard).

Dans la fosse, Friedemann Layer manifeste d’évidentes affinités avec l’ouvrage. Partition d’une exigence technique redoutable : la prestation de l’Orchestre de Mulhouse n’est certes pas parfaite lors de la première, mais au bout de compte on fait abstraction des quelques scories pour d’abord retenir le naturel et le frémissement panthéiste de la direction du chef autrichien.

Une excellente nouvelle pour conclure : le cycle Janacek de Robert Carsen n’est pas terminé, contrairement à ce que l’on a parfois pu croire. Le metteur en scène est de retour à la rentrée prochaine à l’Opéra national du Rhin avec De la maison des morts. Inutile de préciser qu’il s’agira d’un des spectacles d’ouverture de saison parmi les plus guettés de l’hexagone…

Alain Cochard

Janacek : La Petite Renarde rusée – Strasbourg, Opéra, 8 février, puis les 12, 14, 16 février/ à Mulhouse (La Filature), les 1er et 3 mars 2013

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Photo : Alain Kaiser 
 

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