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La Passion selon Sade de Bussotti à l’Athénée - Le théâtre musical à l’épreuve du soufre

La Passion selon Sade. Le titre a tout d’une provocation – et dans l’esprit du compositeur Sylvano Bussotti (né en 1931), c’en est évidemment une. Accoler le terme qui décrit la mise à mort du Christ – et qui renvoie à la magnificence musicale et dramatique des partitions de Bach – au nom du divin marquis, voilà qui fait gronder la terre et se fendre les cieux, un peu comme lorsque les éditions Gallimard, publiant les œuvres de Sade dans sa prestigieuse collection de La Pléiade, annonçait « L’Enfer sur papier bible » !

La provocation, ici, pourrait n’être qu’un enfantillage, la gesticulation publicitaire d’un trentenaire turbulent voulant s’approprier le succès de scandale d’un écrivain sulfureux (n’oublions pas que lorsqu’est créé La Passion selon Sade, à Palerme en 1965, l’œuvre de Sade n’est que depuis peu autorisée à la vente autrement que sous le manteau). Il n’en est rien parce que Sylvano Bussotti, qui revendique une « approche sexuelle de la musique » et considère Les 120 Journées de Sodome comme la première œuvre sérielle, obéit pleinement et intelligemment à l’esprit de Sade, à ce « libertinage de la raison » que se traduit musicalement par une alternance implacable de pleins et de vides, une remise en question permanente de tout ordre établi. Le marquis ici n’est-il pas finalement dominé par sa victime, Justine se réveillant Juliette ?

Léo Warynski © DR

L’ordre, précisément, la partition ne s’en embarrasse pas et c’est aux interprètes de se frayer un chemin dans ces pages très graphiques, où les notes voisinent avec les idées théâtrales. Le chef Léo Warynski (1) et le metteur en scène Antoine Gindt se sont livré avec joie à cette tâche minutieuse de reconstitution d’un chemin musical et dramatique, préalable initiatique – et quelque peu sadique – à l’interprétation sur scène.
La musique est d’une grande variété, vides et pleins ; orgues pleins tubes, musique de chambre et lourds silences. Elle traverse et commente le texte. Quel texte, d’ailleurs ? Non pas de Sade mais de Louise Labé, un sonnet, « Ô beaux yeux bruns » où se mêlent déjà corps et musique (« Ô ris, ô front, cheveux, bras, mains et doigts ! / Ô luth plaintif, viole, archet et voix ! ») interpolé d’exclamations, de soupirs. Jouée en arrière-scène, d’abord derrière le rideau, par l’Ensemble Multilatérale, la musique observe et perturbe l’intimité de ce huis clos où se joue le « mystère de chambre ».

Raquel Camarinha © Paul Montag

Antoine Gindt, qui met en scène de cette magnifique Passion selon Sade, a cependant trouvé le moyen de faire entendre les mots de Sade. En prélude, on découvre donc le célèbre discours prononcé par Dolmancé dans La Philosophie dans le boudoir : « Français, encore un effort si vous voulez être républicains ! ». Il faut un sacré culot – et un incontestable sens du théâtre – pour faire résonner un tel discours avec les oripeaux de la vie politique d’aujourd’hui (les « plumes » de nos gouvernants actuels en prendront de la graine). Au passage, l’effort demandé paraît alors plus grand encore aujourd’hui qu’il ne l’était aux temps révolutionnaires. L’acteur Éric Houzelot y est parfait en homme d’État sûr de lui comme il sera parfait ensuite en marquis débauché, quand de la scène publique on sera passé à la chambre (au son de la sans égale Sonata erotica d’Erwin Schulhoff), quand le bruit du monde aura pénétré l’intime.
Quant à l’héroïne, Justine « O » Juliette, elle est purement et simplement transfigurée par la soprano Raquel Camarinha. Madone d’alcôve rayonnante dans sa robe écarlate, elle met sa voix étincelante, pure, diamantine au service de l’écriture vocale très charnelle de Bussotti. On imagine aisément que le choix de la jeune soprano s’est imposé de lui-même pour le rôle créé jadis par Cathy Berberian lorsqu’Antoine Gindt a voulu monter cette Passion.
Le metteur en scène la connaît bien pour l’avoir déjà dirigée il y a deux ans dans la création de Giordano Bruno, le superbe opéra de Francesco Filidei. Lors du dernier Festival Musica de Strasbourg, où était présentée la Passion selon Sade, Raquel Camarinha chantait également la Passion selon Marc, une passion après Auschwitz de Michaël Levinas, œuvre introspective et violente en même temps, passion ultime (mais plus proche de Bach cette fois que de Sade). La curiosité et l’exigence de la soprano – on l’aura également entendue à Strasbourg chanter Dusapin, Crumb, Debussy et Poulenc ! – semblent insatiables. Elle est une voix à suivre, passionnément.

 
Jean-Guillaume Lebrun

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(1) Lire le portrait de Léo Warysnski : http://www.concertclassic.com/article/leo-warynski-entre-choeur-et-orchestre-un-talent-bien-partage
 
Sylvano Bussotti
La Passion selon Sade
23, 24, 25 et 26 novembre 2017
Paris - Athénée-Théâtre Louis Jouvet.
http://www.athenee-theatre.com/saison/spectacle/la_passion_selon_sade.htm

Photo (Eric Houzelot & Raquel Camarinha) © Sandy Korzekwa

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