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La Pacific Chorale en tournée à Paris - Le répertoire français à l’honneur - Compte-rendu

Au nombre des grandes formations chorales des États-Unis, la Pacific Chorale, dont le principal port d'attache est le Segerstrom Center for the Arts de Costa Mesa (comté d'Orange, Californie, à 60 km au sud-est de Los Angeles), était début juillet en tournée à Paris : quatre concerts en six jours. Créée en 1968, elle est dirigée depuis 1972 par John Alexander, soit quatre décennies de direction fêtés avec éclat dans quatre hauts lieux de la capitale, avec l'organiste et compositeur Thierry Escaich, titulaire (avec Vincent Warnier) de l'orgue conçu par Maurice Duruflé en 1956 pour l'église Saint-Étienne-du-Mont, et l'Orchestre de Saint-Louis-en-l'Île. La Pacific Chorale recouvre une double formation : un chœur amateur de cent quarante « volontaires de niveau professionnel », dont une centaine étaient à Paris ; un chœur professionnel (intégré) de 24 chanteurs : les John Alexander Singers.

Bien que réputée pour ses interprétations du répertoire américain, c'est dans la musique française, très présente outre-Atlantique, que la Pacific Chorale entendait s'illustrer. Nul doute que le vieux rêve européen, comme chez nous le rêve américain, a encore de beaux jours devant lui, preuve à l'appui. Montrer au public parisien à quel niveau d'excellence un chœur californien peut s'élever dans notre répertoire fut assurément une première et légitime satisfaction pour ces chanteurs de tous âges formidablement aguerris. Mais l'on peut imaginer que la plus belle récompense fut de chanter, et avec quelle émotion, Duruflé – et désormais Escaich – à Saint-Étienne-du-Mont, Widor et Dupré à Saint-Sulpice, Lili Boulanger et Fauré à la Madeleine : pour la Pacific Chorale, des souvenirs à jamais et une aventure chaleureusement partagée avec un public dense et fervent (tous les Américains de Paris semblaient s'y être donné rendez-vous) ; pour nous, une étonnante et vivante démonstration, de l'extérieur, de l'aura de notre musique, et une belle leçon d'humilité.

Premier concert sur la montagne Sainte-Geneviève, avec en préambule, sur son propre instrument, une improvisation d'Escaich qui fit penser à son commentaire musical du film Ben-Hur (1925) au Musée d'Orsay (cf. Actualité du 18 janvier 2011) : trépidante chevauchée dans le Far West, autant dire un hommage à Hollywood et à la Californie – toujours le rêve, dans un sens ou dans l'autre, européen, américain… La première occasion d'entendre l'impressionnante Pacific Chorale, dont les chanteurs étaient serrés au pied du somptueux buffet de 1633, fut Pilgrims' Hymn (1997) de Stephen Paulus (né en 1949), page homorythmique aux harmonies somptueuses et hors du temps qui semble être devenue l'hymne de la formation. S'ensuivit un Motet Ubi caritas et amor, signé non pas Duruflé (Op. 10 n°1) mais Morten Lauridsen (né en 1943), page puissamment contrastée et développée, interprétée par un chœur d'une discipline confondante, avec souplesse, force et douceur. Les pièces suivantes firent appel aux seuls John Alexander Singers : il s'agissait, accompagnés par l'auteur, des Trois Motets (1998) d'Escaich, pages complexes pour douze voix mixtes sur des poèmes d'Alain Suied, dont Mathias Lecomte a récemment permis d'entendre la version pour orgue seul (Trois Poèmes, 2002) lors du Festival de Saint-Eustache (cf. Actualité du 19 juin 2012) – Escaich les a enregistrés en 2001 pour Calliope (CAL 9937) avec l'Ensemble vocal Soli Tutti.

La seconde partie de ce concert de haute tenue était consacrée au Requiem (1947) de Duruflé – l'une des stars du répertoire choral aux États-Unis – dans sa version dite « d'église » (publiée en 1961), avec orchestre de chambre (cordes, harpe, trois trompettes et timbales), l'orgue se substituant aux vents et aux cuivres graves. L'image même de ce que le public américain peut régulièrement entendre, d'une tenue irréprochable et d'une merveilleuse intensité émotionnelle, la direction de John Alexander tenant l'équilibre entre puissance rayonnante et spiritualité habitée.

Le deuxième concert fut l'occasion d'entendre des œuvres beaucoup plus rares pour chœur et orgue(s). Sur le grand Cavaillé-Coll, qui vient de fêter ses 150 ans (cf. Actualité du 15 mai 2012), Daniel Roth offrit d'abord un formidable Allegro de la Sixième Symphonie de Charles-Marie Widor. Suivirent plusieurs pièces pour chœur (réparti de manière linéaire sur trois côtés de la vaste croisée, occupant ainsi un espace considérable sans le moindre souci de synchronisation) avec ou sans orgue – Thierry Escaich jouant celui du chœur (Cavaillé-Coll, 1858), lequel sonne comme un grand instrument… un peu lointain. Deux Motets de Widor encadraient cette partie de programme : Tu es Petrus et Surrexit a mortuis, op 23 n°2 et 3 (1876), les deux orgues se répondant ; une musique qui vise l'effet, évocation puissamment sonore de l'apparat des offices de Saint-Sulpice à cette époque, mais dont on se dit qu'il faut l'avoir entendue une fois dans sa vie in situ : grandiose à défaut d'être musicalement émouvant. Dupré fut également honoré avec Le monde dans l'attente du Sauveur, mouvement initial de sa Symphonie-Passion (1924), et le premier de ses quatre Motets op 9 (1916) : O salutaris hostia. Messiaen également – un O sacrum convivium (1937) comme jamais, à cent voix !, d'une mise en place optimale et avec cette marque de fabrique de la Pacific Chorale consistant à tenir longuement la dernière note de chaque œuvre, en un diminuendo infini, presque au-delà du souffle, ppp, à l'instar des boîtes expressives des orgues dites « orchestrales » de la facture d'outre-Atlantique – ainsi que Poulenc : Salut, Dame Sainte (première des Quatre petites prières de saint François d'Assise, 1948), juste avant le Surrexit a mortuis de Widor – contraste !

Au programme de la seconde partie : Festival Alleluia op 161 (1969) de Jean Langlais, la Pacific Chorale entourant l'orgue de chœur – le tout acoustiquement assez loin des auditeurs de la nef ; deux Motets de Daniel Roth : Dignare me (1990, avec solistes) et Ave Maria (v. 1965, pour voix de femmes), suivis d'une improvisation au grand orgue en guise de transition ; enfin l'imposante Messe à deux chœurs et deux orgues op 36 (1878) de Widor : à l'origine les quelque deux cents voix du Grand Séminaire et les quarante de la Maîtrise de Saint-Sulpice. Avec comme dans les Motets une alternance question/réponse (un peu systématique) entre orgues de tribune et du chœur. Cette œuvre indéniablement d'apparat – un peu impersonnelle mais superbement interprétée – se referme néanmoins, presque en rupture avec les quatre sections l'ayant précédé, sur un Agnus Dei d'une réelle et profonde beauté, paradisiaque. Roth joua ensuite la Toccata de Widor (finale de la Cinquième Symphonie), puis le chœur rechanta le Pilgrims' Hymn de Stephen Paulus.

Après la prestation des John Alexander Singers seuls, à Saint-Louis-en-l'Île le samedi (Festival Musique en l'Île), à Josquin des Prez et Allegri répondant Leonard Bernstein, David Lang et un arrangement de Spiritual, tous les intervenants du premier concert (avec d'autres solistes) se retrouvèrent le dimanche à la Madeleine pour le concert de clôture de cette tournée parisienne. Victimae paschali de Tournemire par Escaich au grand-orgue, Musica (1997) de John Alexander par le chœur seul, Psaume 24 (1916) pour chœur, orgue (de chœur, tenu par Escaich) et timbales de Lili Boulanger (dont la sœur Nadia fut suppléante de Fauré et d'Henri Dallier au grand orgue de la Madeleine), Litanies à la Vierge noire (1935) de Poulenc : voix de femmes de la Pacific Chorale, dont la diction en français était parfaitement intelligible, enfin, comme il se doit, Requiem de Fauré, dans un équilibre entre masse chorale et intimité spirituelle rappelant le Requiem de Duruflé du premier soir. Avant qu'Escaich, de retour au grand orgue ne ponctue cette tournée d'une improvisation rythmique dans le genre électrisant, la Pacific Chorale chanta une dernière fois le Pilgrims' Hymn de Stephen Paulus : pas de doute, le chœur américain était bel en bien en pèlerinage aux sources de cette musique française qu'ils servent si magnifiquement.

Michel Roubinet

Paris, églises Saint-Étienne-du-Mont, Saint-Sulpice et de la Madeleine, les 3, 5 et 8 juillet 2012

Sites Internet :

Pacific Chorale / Tournée parisienne
http://pacificchorale.org/concerts_and_events/concerts.php?id=57

Pacific Chorale's Chorale Festival au Segerstrom Center for the Arts de Costa Mesa (Californie)
http://www.scfta.org/home/Events/EventDetail.aspx?EventID=1337

Thierry Escaich
http://www.escaich.org/

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Photo : Michel Roubinet
 

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