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La Navarraise et Cavalleria Rusticana à Saint-Etienne - Massenet côté vériste - Compte-rendu



Compositeur dont 2012 s’apprête à célébrer le centenaire de la disparition, Jules Massenet ne se réduit pas à Werther, Manon et Thaïs. Grâce au travail de l’Opéra-Théâtre de Saint-Etienne, bien des aspects méconnus de l’art du prolixe auteur ont été révélés, à l’époque de Jean-Louis Pichon tout comme depuis 2009, date de l’arrivée de Daniel Bizeray à la tête de l’institution stéphanoise.

La redécouverte était une fois de plus au programme avec La Navarraise de l’enfant du pays, associée à Cavalleria rusticana. On a plus souvent l’occasion d’entendre la partition de Mascagni couplée avec le non moins fameux Pagliacci de Leoncavallo, et pourtant le couplage proposé à Saint-Etienne s’avère on ne peut plus fondé d’un point de vue historique. Créée au Covent Garden de Londres en juin 1894 à peine plus de trois mois après la première parisienne de Thaïs, La Navarraise fait figure de réponse du compositeur français à Cavalleria - dont le succès devait d’ailleurs faire beaucoup d’ombre aux ouvrages suivants de l’Italien.

Livret efficace, musique d’une grande intensité dramatique ; deux actes séparés par un bel intermède symphonique comme chez Mascagni certes ; mais Massenet se garde bien de pasticher son confrère.
La phrase musicale se fait plus courte, le propos plus « serré », plus haletant que dans d’autres opéras, toutefois c’est bien l’auteur de Werther que l’on entend, sous un jour il est vrai singulier – et bigrement attachant. L’Opéra-Théâtre de Saint-Etienne a mille fois eu raison de redonner sa chance à sa Navarraise, avec une équipe qui aura su la faire aimer au public d’aujourd’hui.


Située en 1874 dans les environs de Bilbao pendant la guerre avec les carlistes, l’action du livret de Claretie et Cain a été déplacée par Jean-Louis Grinda dans l’Espagne de la guerre civile. Une translation menée avec tact, le metteur en scène de gardant bien de chausser les – très - gros sabots que certains de ses collègues enfilent dès qu’il s’agit de s’aventurer en terrain historique pré-fasciste ou fasciste. Barricade constituée d’un monumental empilement de chaises (Rudy Sabounghi signe la scénographie), le décor unique et mobile offre un cadre bien trouvé à une partition défendue par un plateau résolument engagé dans l’aventure. Révélation de ce spectacle, la jeune soprano française Marie Kalinine (Anita) se donne dans réserve - l’éprouvant rôle de Santuzza l'attend pourtant en seconde partie de soirée ! – et assume la métamorphose de son personnage d’une saisissante manière. A ses côtés, Dimitris Paskoglou, ténor au timbre chaleureux, campe un convaincant Araquil, à côté du sombre Garrido d’André Heyboer et d’Alain Herriau, à la fois Remigio et Bustamente.


A la tête des musiciens de l’Orchestre Symphonique Saint-Etienne Loire, Laurent Campellone donne la mesure du travail exemplaire qu’il accomplit avec cette formation depuis maintenant sept ans. Il croit en la partition de Massenet et la fait vibrer avec un lyrisme passionné mais dénué de toute vulgarité – et un fini instrumental qui force l’admiration. Gageons que l’anniversaire Massenet de l’an prochain sera l’occasion de mieux mettre en lumière le talent d’un jeune chef qui allie modestie, infinie curiosité, simplicité et profonde intelligence musicale.

La soirée commence et Cavalleria rusticana ne fera que confirmer ces excellentes impressions de départ en seconde partie.


A Vincent Vittoz revient la mise en scène de l’ouvrage de Mascagni. Son parti pris de rejet de toute dimension anecdotique pour mieux souligner la culpabilité de Santuzza est assumé de façon surprenante au premier abord mais convaincante et aboutie, dans une scénographie très dépouillée d’Amélie Kiritzé-Topor (avec, comme pour La Navarraise, de belles lumières de Cyrille Chambert) où le drame vécu par l’héroïne s’offre au spectateur dans une saisissante nudité, les symboles de la passion du Christ s’affichant en contrepoint.

A nouveau, Marie Kalinine brûle les planches et l’ancienne élève de Christiane Eda-Pierre donne la mesure de moyens et d’un tempérament dont on entendra sûrement reparler bientôt(1). Quelques signes de fatigue vocale chez Dimitris Paksoglou sont largement compensés par la présence dramatique de son Turridu, tandis qu’André Heyboer avec son impressionnante carrure comprend toute la rusticité d’Alfio. Belles Lucia de Béatrice Burley et Lola de Yété Queiroz. Autant que dans La Navarraise, le Choeur préparé par Florent Mathevet se distingue par sa cohésion, tandis que Laurent Campellone affirme une conception dont le raffinement sonore dénué de narcissisme fait corps avec la vision originale de Vincent Vittoz.




Alain Cochard



(1) La vie de chanteuse est pleine de rebondissements et de surprises dont le crayon de Marie Kalinine se fait l’écho sur un blog plein de d’humour : http://chanteusedopera.blogspot.com



Massenet : La Navarraise / Mascagni : Cavalleria rusticana

Opéra-Théâtre de Saint-Etienne, 4 novembre, dernière représentation le 8 novembre 2011

www.operatheatredesaintetienne.fr

La Navarraise sera reprise au côté de L’Enfant et les sortilèges de Ravel (également mis en scène par Jean-Louis Grinda), avec une distribution différente, à l’Opéra de Monte Carlo les 20, 22, 25 et 25 janvier 2012. Rens. : www.opera.mc


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Photo La Navarraise : Jean-Antoine Raveyre

Photo de Laurent Campellone : Cyrille Sabatier

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