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La Fanciulla del West à l’Opéra Bastille – Une walkyrie dans la Sierra - Compte-rendu

Soyons justes et saluons Nicolas Joel pour avoir osé programmer la même saison, deux ouvrages majeurs du répertoire, Aïda et La Fanciulla del West, honteusement oubliés dans la capitale (1). Après le spectacle décrié d’Olivier Py, l’Opéra Bastille fait place à celui de Nikolaus Lehnhoff, déjà vu à Amsterdam avec Eva-Maria Westbroeck en 2009. Far West décalé pour Minnie, tenancière d'un bar où les machines à sous remplacent les jeux de cartes (acte 1) et où le trafic de voitures volées (acte 3) succède à l'exploitation des mines d’or. C'est amusant, sans risque, (on frise tout de même le ridicule au 2 dans le van caparaçonné de rose où vit l'héroïne, veillée au dehors par deux faons géants), la conclusion hollywoodienne avec robe du soir, grand escalier et lion rugissant façon MGM s’accordant au style flamboyant et cinématographique de Puccini.
 
Sans rivale dans un rôle de soprano exigeant qui demande une voix endurante et solide, mais également une féminité à toute épreuve, Nina Stemme vaut à elle seule le déplacement. Cette Isolde, cette Brünnhilde, cette Salomé au timbre d'airain et au legato soyeux poursuit avec succès son exploration puccinienne et trouve après Butterfly, Tosca et Turandot un terrain idéal. Vaillante face à ses « hommes » brutaux et imprévisibles, elle est à la fois objet de désir, d'admiration et de respect, n’hésitant pas à manier les armes s'il le faut. Malgré sa stature et cette voix qui fend l'espace, Stemme sait se montrer touchante et l'on croit à son personnage troublé par la découverte de l'amour, qui finira, contre toute attente par quitter la Californie, dans un subtil « Addio mia dolce terra », au bras d'un bandit au grand cœur.
 
Marco Berti n'a certes pas le sex-appeal de Jonas Kaufmann qui lui donnait la réplique à Vienne en décembre dernier, ni son insolente beauté vocale, mais le ténor italien tient son rang et affronte sans faiblir la tessiture éprouvante de Johnson-Ramerrez, culminant dans un excellent « Ch'ella mi creda ». Claudio Sgura qui avait déçu dans le Barnaba de La Gioconda en mai dernier, trouve en Jack, shérif amoureux de Minnie, moins odieux que Scarpia mais tout aussi bien écrit, un rôle à sa mesure et relève lui aussi chaque défi avec une droiture vocale qui se prolonge jusque dans son jeu.
 
Les protagonistes de ce western lyrique ont la chance de disposer du chef Carlo Rizzi, déjà présent à Amsterdam, qui déploie toute son imagination pour insuffler à ce merveilleux texte orchestral, souffle et puissance, notamment dans les scènes où le suspense est à son comble et où les ressources du vérisme, habilement soulignées, rendent quasiment pathologique la tension qui s'empare des personnages (lorsque Johnson est découvert, puis pendant la partie de poker au 2ème acte). La partition est empoignée d'un geste large ; le tissu sonore devient partie intégrante de l'action et non un assemblage de thèmes exotiques ou caricaturaux, ce qui confère à l’œuvre son style inimitable. Parmi la cohorte de seconds couteaux de cette épopée, Roman Sadnik offre un portrait de Nick efficace, Andrea Mastroni est un Ashby diabolique, tandis que André Heyboer, vif Sonora, et les nombreux autres gaillards se montrent d'une grande justesse.
 
François Lesueur
 
(1) Dernière Aïda à Garnier en 1968 et dernière Fanciulla del West à l'Opéra-Comique en 1969
 
 
Puccini : La Fanciulla del West – Paris, Opéra Bastille, 4 février, prochaines représentations les 10, 13, 16, 19, 22, 25 et 28 février 2014.
www.concertclassic.com/concert/la-fanciulla-del-west-de-puccini

Photo © Clärchen & Matthias Baus

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