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La Esmeralda de Louise Bertin aux Bouffes du Nord – Recherche Louise désespérément – Compte-rendu
La musique a toujours eu sa place aux Bouffes du Nord, comme l’attestent les collaborations de Peter Brook avec Marius Constant pour La Tragédie de Carmen ou Impressions de Pelléas. A chaque fois, il s’agissait de proposer une version réduite et « re-théâtralisée » de piliers du répertoire lyrique. Beaucoup plus récemment, Traviata – vous méritez un avenir meilleur se risquait avec brio à réintroduire Alexandre Dumas fils dans l’opéra de Verdi. Point commun à toutes ces entreprises : prendre une œuvre archi-célèbre pour projeter sur elle un éclairage neuf, tout en conservant une véritable exigence musicale.
Avec La Esmeralda, créé à l’Opéra de Paris en 1836, la donne change radicalement. D’abord, parce que l’œuvre de Louise Bertin (1805-1877) est presque totalement inconnue du public. Grâce à René Koering, qui l’avait mise au programme du festival Montpellier, il en existe une intégrale, parue en 2009, mais bien rares sont les mélomanes qui connaissent cet opéra. En présenter une version réduite et adaptée ne va donc peut-être pas autant de soi que pour des chefs-d’œuvre canoniques. Par ailleurs, lors de sa première mondiale, cet opéra fut défendu par le trio qui avait porté au triomphe Robert le diable quelques années auparavant : Cornélie Falcon, Adolphe Nourrit et Nicolas-Prosper Levasseur. On ne s’attend évidemment pas, en venant voir un spectacle aux Bouffes du Nord, à entendre l’équivalent moderne de ces très prestigieux gosiers. Les objectifs ne sont pas les mêmes, les moyens non plus, mais force est d’avouer que l’on tombe de très haut, et qu’on en vient à se demander, dans ces conditions, ce qu’il reste de Louise Bertin.
© Jean-Louis Fernandez
D’autant que le début du spectacle monté par Jeanne Desoubeaux suscite une certaine inquiétude. Dans un décor d’échafaudages – Notre-Dame-de-Paris, désormais, c’est forcément la cathédrale-qui-était-en-travaux-et-qui-a-brûlé – et sur une musique « actuelle », le public assiste à une scène carnavalesque qui renvoie aux premiers chapitres du roman de Victor Hugo, avec son concours de grimaces pour l’élection du pape des fous, mais où se donnent libre cours toutes sortes de pulsions, déguisements transgenres et dressage BDSM. Au bout d’une très longue dizaine de minutes, on glisse insensiblement vers la musique de l’opéra, transcrite pour piano et quatre instruments, les musiciens donnant de la voix dans certains ensembles. Sur le plan théâtral, malgré quelques outrances, le spectacle fonctionne bien, dans une scénographie ingénieuse, et livre de belles images, comme l’apparition d’Esmeralda sur une estrade qui devient ensuite table, puis cellule de prison.
Par chance, le rôle-titre est tenu par une admirable soprano qui ferait merveille dans l’opéra-comique français et qui séduit de bout en bout dans son incarnation d’un personnage qui, même modernisé, conserve les pudeurs et le courage d’une héroïne du XIXe siècle. Jeanne Mendoche est un nom à retenir, à n’en point douter ; elle est la seule ici à chanter dans les règles de l’art, ses partenaires étant hélas contraints de livrer des prestations hors concours.
© Jean-Louis Fernandez
Comédien de son état, Arthur Daniel est un récitant pince-sans-rire, et on ne lui reprochera pas d’interpréter le rôle de Clopin-Trouillefou en une sorte de parlé-chanté ou comme s’il s’agissait de variété. On regrette en revanche que Martial Pauliat, membre de l’ensemble Clément Janequin, entre autres, ait accepté un rôle dont il est obligé de chanter plus de la moitié des notes en voix de fausset, ce qui devient vite pénible pour les oreilles, malgré sa remarquable aisance scénique. Christophe Crapez, plus familier de la musique contemporaine ou de l’opérette, met sur le compte de Quasimodo la laideur délibérée de son chant à certains moments.
Quant à Renaud Delaigue, lui aussi apprécié dans la musique ancienne, on se demande comment il peut se fourvoyer ainsi : dès qu’elle cesse de forcer, sa voix retrouve ses qualités reconnues, mais le reste du temps, en voulant grossir le son, elle perd ses vraies couleurs et sa justesse.
Laurent Bury
Louis Bertin : La Esmeralda - 17 novembre 2023 ; prochaines représentations aux Bouffes du Nord jusqu’au 3 décembre, puis le 9 décembre à Avignon, le 18 janvier à Meudon, le 2 février à Vichy et les 30 et 31 mars 2024 à Tours.
Photo © Jean-Louis Fernandez
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