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La Double Coquette au Festival de Sablé – Un moderne chez Dauvergne – Compte-rendu
Le mariage du passé et du présent nouvelle tendance des festivals de musique ancienne et baroque ? Après les Rencontres de Vézelay et Sinfonia en Périgord, le Festival de Sablé s’est en tout cas lui aussi livré à l’exercice et ce de façon originale en programmant La Double Coquette d’Antoine Dauvergne (1713-1797) et Gérard Pesson (né 1958). Héloïse Gaillard, la directrice artistique de l’Ensemble Amarillis, aura été l’instigatrice de la rencontre inattendue de deux compositeurs nés à près de deux siècles et demi de distance.
A la source du projet, La Coquette trompée (1753), charmant petit « opéra bouffon » du Sieur Dauvergne dont Gérard Pesson s’est emparé avec la complicité de l’écrivain Pierre Alferi pour l’augmenter de 32 « additions » (un Prologue d’une dizaine de minutes et 31 brefs ajouts dont la durée se mesure plus souvent en secondes qu’en minutes). Florise découvre que Damon est épris d’une autre (Clarice) et se travestit en homme pour séduire et confondre l’infidèle et le ramener au bercail. Pas de quoi fouetter un chat on en conviendra, mais... sur l’inoffensif livret de Favart Alferi procède à des « implants poétiques » et partant pousse le subterfuge amoureux jusqu’au bout. Une fois que Florise a tombé la moustache, elle demeure éprise de Clarice et le vaudeville final réunit les trois protagonistes pour chanter les amours en tous genres – « Qui se laisse par tout charmer / Connaît mieux le bonheur d’aimer / Qui se laisse par tout charmer / Tous vos désir peut bouleverser / Bouleverser.»
L’intrusion du tandem Pesson-Alferi dans l’univers de Favart et Dauvergne s’opère sans difficulté, l’écrivain modifiant le propos de livret original avec autant de tact que compositeur réalise ses « greffes musicales ». Avec un langage contemporain (mais adapté à un instrumentarium baroque) très attaché à la nuance et au détail, comme toujours chez lui, il s’immisce dans la partition de Dauvergne et, sans la violenter, la déplace dans un entre-deux ambigu, un sucré-salé esthétique très adapté au détournement auquel se livre Alferi.
Concision (une partie, 75 minutes environ), fluidité : le spectacle fait mouche d’autant plus aisément qu’il est servi par la mise en scène/mise en espace économe et sans prétention de Fanny de Chaillé (aucun décor, les chanteurs costumés évoluent, avec un minimum d’accessoires, devant les onze musiciens disposés au milieu de la scène) et les costumes de d’Annette Messager (la tenue de Florise travestie convainc toutefois plus que l’accoutrement "chevelu" dans lequel on la découvre au Prologue, tablette numérique en main…).
Après avoir participé à la création en version de concert et à l’enregistrement (1) de La Double coquette à Besançon en décembre 2014, puis à sa création scénique dans le cadre du French May de Hong Kong le 2 mai 2015, Isabelle Poulenard (Florise), Maïlys de Villoutreys (Clarice) et Robert Getchell (Damon) sont de retour à Sablé pour création scénique française. Du côté de Dauvergne, comme de celui de Pesson, la partition n’a plus de secret pour eux. Tels des poissons dans l’eau, ils s’en régalent avec autant d’aisance vocale que de vivacité et de plaisir – communicatif !
A l’unisson, les instrumentistes d’Amarillis servent la musique avec élégance et finesse, oscillant avec le même naturel que les chanteurs de l’original aux « implants ». La Double Coquette, « opéra transtextuel » selon Pierre Alferi : on ne saurait mieux le définir.
Notez enfin que le Festival d’Automne à Paris, l’un des coproducteur du spectacle, aux côté du Centre de musique baroque de Versailles, du French May et du Festival de Sablé entre autres, programme plusieurs représentations de La Double Coquette en novembre, d’abord à Saint-Quentin en Yvelines (Scène nationale), puis à Paris (Théâtre des Abbesses).
Alain Cochard
(1) Dauvergne : Les Troqueurs / Dauvergne & Pesson : La Double Coquette – 2CD NoMadMusic NMM017 Photo
Dauvergne/Pesson : La Double Coquette ( création scénique française) Sablé-sur-Sarthe, Centre culturel Joël Le Theule, 27 août 2015. Prochaines représentations ( dans le cadre du Festival d’Automne à Paris) les 6 et 11 novembre à Saint-Quentin-en-Yvelines (Scène nationale) et les 17, 18 et 19 novembre 2015 à Paris ( Théâtre des Abbesses) / http://www.festival-automne.com/edition-2015/gerard-pesson-annette-messagerbrpierre-alferi-fanny-de-chaille-la-double-coquette
Site de l’Ensemble Amarillis : http://amarillis.fr
Photo © Marc Domage
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