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La Divisione del Mondo à l’Opéra national du Rhin – Concupiscence vénitienne – Compte-rendu

La Divisione del Mondo de Legrenzi (Venise 1675), retrouvée à la Bibliothèque de Paris par Christophe Rousset, est une œuvre stupéfiante. Elle transpire la licence assumée qui constituait l’esprit séditieux de la Sérénissime en période de Carnaval. Plus que d’un opéra, on pourrait même parler d’un oratorio païen où le désir serait le seul Éternel.
Le livret de Giulio Cesare Corradi commence alors que Jupiter a vaincu les Titans. Dieux et déesses festoient dans un Olympe figuré par la spirale d’un escalier grimpant vers un invisible empyrée. La mise en scène de Jetske Mijnssen joue l’épure des codes baroques, les allégeant sans les renier. La récente publication du DVD de son Orfeo de Rossi, (Harmonia Mundi), donné à Nancy sous la direction de Raphaël Pichon, témoigne de ce travail subtil et pertinent. Mais, si l’opéra de Rossi était une tragédie, La Divisione est une comédie concupiscente.
 

© Klara Beck - OnR

On découvre d’abord la génération originelle, Saturne et Rhéa, un vieillard lubrique et une rombière en chaise roulante. Puis les premiers enfants, Jupiter et Neptune, Junon et Pluton. Suivis d’Apollon, Diane, Mars, Vulcain, Mercure... sans oublier les tous derniers, Amour et Discorde, deux garnements ailés, prompts à voler des cigarettes car on fume beaucoup sur le plateau. Chez Jetske Mijnssen, cette divine famille est une tribu d’ultrariches s’ennuyant dans une immense maison. Au mur, un cygne en rut, avatar du roi des dieux, s’accouple avec Léda.

Le ton est donné. Connaissant ses antiques, Mijnssen transforme l’Olympe en un repaire d’incestueux fornicateurs. Après tout Jupiter et Junon ne sont-ils pas frère et sœur, mari et femme ? De sexe, il sera donc sans cesse question. C’est la libido qui provoque la division du monde quand Vénus vient intégrer la maison des dieux. Elle est incarnée par la fière Sophie Junker, sculptée par le pantalon moulant que lui a choisi Julia Kathrarina Berndt. Jupiter, en complet bleu azur, n’a d’yeux que pour ses fesses. Le Jupiter de Carlo Allemano s’y montre superbement salace. Les manigances de Vénus vont provoquer bien d’autres drames domestiques. Apollon est prié de déménager. Jake Arditti fait du dieu des arts un pasteur pâlichon réprimant à grand-peine sa peur de la chair. Neptune et Pluton, ici deux frères jumeaux en chandail vintage, rampent du canapé jusqu’au pied d’une déesses qui n’est que palpitations pour Mars, admirablement féminisé par le contre-ténor Christopher Lowrey. Julie Boulianne campe une Junon alcoolisée et querelleuse. Diane (Cintia), ici devenue un personnage plaintif, est illuminée par le timbre délicat et rond de Soraya Mafi. Saturne (Arnaud Richard caverneux à souhait), tout juste sorti de la maison de retraite pour tancer son libidineux fiston, tombe à son tour sous le charme de Vénus… Mais gare aux représailles orchestrées par l’Amour et la Discorde... cette dernière, incarnée par Alberto Miguélez Rouco est une révélation tant il est difficile de croire que ce mezzo est un homme …
 

© Klara Beck - OnR

Catégories et genres sans dessus dessous, gaudriole et sensualité sont magnifiés par la musique effervescente de Legrenzi. On connaît surtout ce compositeur pour ses œuvres sacrées, riches en élans de ricercare et en batailles de violons. D’une génération postérieure à Monteverdi, Cavalli et Sacrati, il fait considérablement évoluer le recitar cantanto en l’agrémentant d’une multitude d’arias brèves. Les Talens lyriques, ici cordes par quatre, flûtes, cornets à bouquin et un roboratif continuo, apportent les couleurs nécessaires à une œuvre d’une stupéfiante énergie. Restituée avec ironie et humanité, La Divisione del Mondo est le fruit d’une coproduction entre l’Opéra national du Rhin et l’Opéra national de Lorraine. Après Strasbourg, Mulhouse et Colmar, le spectacle se verra à Nancy du 20 au 27 mars, puis à l’Opéra Royal de Versailles les 13 et 14 avril.

Vincent Borel

Legrenzi : La Divisione del Mondo – Strasbourg, Opéra, 8 février ; prochaines représentations les 12, 14, 16, février, puis à Mulhouse (La Sinne) les 1er et 3 mars et à Colmar (Théâtre municipal) le 9 mars 2019 // www.operanationaldurhin.eu/fr/spectacles/saison-2018-2019/opera/la-divisione-del-mondo
Reprise à l’Opéra national de Lorraine (Nancy) les 20, 22, 24, 26 et 27 mars 2019 // www.opera-national-lorraine.fr/programme/la-divisione-del-mondo, et à l’Opéra Royal de Versailles les 13 et 14 avril 2019 // www.chateauversailles-spectacles.fr/programmation/legrenzi-la-divisione-del-mondo_e1930
 
Photo © Klara Beck - OnR

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