Journal

La Dame de pique selon Olivier Py à Nice – Ghostbuster sur les berges de la Léna – Compte rendu

Sous l’égide de la Région Sud, avec son opérateur Arsud, et pour la première fois, les quatre maisons d’opéra du sud-est, se sont unies pour offrir à leur public la Dame de pique de Tchaïkovski. L’occasion pour Olivier Py, directeur du festival d’Avignon depuis 2014, mais aussi enfant du pays puisque né à Grasse, de signer sa 42ème mise en scène d’opéra. C’est à Nice qu’ont été données les premières représentations avant Toulon dans un mois puis Marseille et Avignon la saison prochaine.
 
« Le monde que décrit Tchaïkovski est en phase terminale » écrit Olivier Py dans sa note d’intention pour la Dame de pique. Ici, une Russie agonisante, expirant dans le souvenir d’un riche passé disparu. Société à laquelle appartenait le compositeur qui se dédouble, en la circonstance pour devenir Hermann, personnage menteur, joueur, suicidaire et mettre ainsi au jour la face peu cachée de sa personnalité. La Dame de pique c’est le désespoir, la mort, une certaine idée du néant à venir, pour tous, dixit Hermann, donc Tchaïkovski, une balle dans le ventre en fin de représentation.

© Dominique Jaussein 

Cette puissance dévastatrice, il faudra attendre le troisième et dernier acte pour la ressentir réellement. Sur scène, décor unique, les étages aux vitres brisées d’une immense et sordide ruine sans âme (théâtre ?) hébergent les errances grises des fantômes d’une société liquéfiée, sur fond d’immeubles staliniens, champignons de béton sur les rives de la Lena. Sur un espace à deux niveaux Olivier Py installe une très classique mise en abyme, se perd parfois, nous perdant aussi, dans une chasse aux fantômes désordonnée et quelque peu ennuyeuse. Py fait du Py et impose ici la présence d’un danseur (remarquable Gleb Lyamenkoff, au demeurant) corps d’éphèbe androgyne, parfois d’un seul slip vêtu, cristallisant les errances psychiques des uns et des autres personnages, de Tchaïkovski et, peut-être, du metteur en scène lui-même…
Beaucoup d’effets superfétatoires dans un travail qui aurait mérité d’être mené au couteau de peintre pour travailler la matière du drame et les caractères puissants et désespérés qui l’animent. Le film est tourné au grand angle alors que les plans resserrés étaient nécessaires… Seul le terrible troisième acte, celui qui synthétise irrémédiablement les maux, où s’entrechoquent les non-sentiments et les vraies perversions, où les fantômes viennent chercher ceux qui le deviendront, où le cercueil est une table de jeu, où le suicide est érigé en point final, seul cet épilogue cruel nous fait totalement émerger d’une semi somnolence dans laquelle nous étions plongés, malgré nous, avant la pause.
 
Un état qui n’est pas seulement dû à la mise en scène mais aussi à la direction quelque peu lymphatique de György G. Rath bridant un orchestre n’aspirant qu’à laisser s’exprimer sa fougue. Nul doute qu’avec plus de passion, de puissance et de romantisme, l’audition de cette Dame de pique aurait été certainement fort différente. Il sera intéressant, désormais, de découvrir la lecture de cet ouvrage que feront les autres chefs et orchestres lors des prochaines représentations et, dès le mois prochain, celle de Jurjen Hempel à la tête de l’orchestre de l’Opéra de Toulon.
 

Elena Bezgodkova (Lina) & Eva Zaïcik (Pauline) © Dominique Jaussein

 
La grande satisfaction est venue de la distribution à majorité russophone dont la qualité, notamment des principaux rôles, doit être distinguée. A commencer par Elena Bezgodkova  qui incarne une Lisa  délicatement solide aux couleurs élégantes mais affirmées. Grande performance, à ses côtés de Marie-Ange Todorovitch, grimée en comtesse octogénaire, au jeu somptueux et à la voix rocailleuse et terriblement réaliste. Un grand numéro scénique et vocal de la mezzo à l’aise aussi bien dans l’expression russe que dans le chant français. De l’élégance, aussi, chez Eva Zaïcik, belle projection et grande présence dans le rôle de Pauline, Nona Javakhidze et Anne Calloni complétant avec brio le casting féminin.
Du côté des hommes, Oleg Dolgov, idéale ligne de chant et belle projection, campe avec aisance un Hermann froidement réaliste, alors que le Tomsky d’Alexander Kasyanov aurait gagné à développer le côté obscur de son personnage tant vocalement que scéniquement. Si le chant est soigné, on aurait apprécié un peu plus de présence dans la salle de jeu de la part de Serban Vasile qui incarne le prince Eletski. Appréciée, la voix sombre de Nika Guliashvili, Sourine, aux côtés du Chelalinski d’Artavazd Sargsyan, et la participation active des comprimari Christophe Poncet de Solages et Guy Bonfiglio. Un mot, enfin, pour saluer l’excellente prestation des chœurs des Opéras de Toulon et de Nice et du chœur d’enfants de l’Opéra de Nice idéalement préparés. La chasse aux fantômes sur les rives de la Lena va désormais se poursuivre sur les rivages de la Méditerranée et les berges du Rhône.

Michel Egéa

Tchaïkovski : La Dame de pique – Nice, Opéra, 1er mars ; prochaines représentations les 3 et 5 mars, puis à l’Opéra de Toulon du 21 au 26 avril 2020 et, en octobre, à l’Opéra de Marseille puis à l’Opéra Grand Avignon // www.opera-nice.org/fr/evenement/490/la-dame-de-pique  // www.operadetoulon.fr/spectacles/lyrique-la-dame-de-pique/315.htm

Photo © Dominique Jaussein 

Partager par emailImprimer

Derniers articles