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La Compagnie Illicite à Bayonne – Effervescence poétique – Compte-rendu

 

 Il a le vent en poupe, Fábio Lopez (photo), sa bonne étoile semble toujours veiller sur lui. Un parcours  attachant que celui du jeune chorégraphe, dont la trajectoire est d’une grande richesse. Du chaleureux Portugal où il est né, il a parcouru les grands axes de la danse, de la Juilliard School de New York à l’école de Béjart à Lausanne, puis en 2006, à 20 ans, l’intégration à Ballet Biarritz où il dansera les œuvres puissantes de Thierry Malandain, et apprendra la vie d’une compagnie et sa rigueur. Ce qui l’incite à  créer en 2015, avec les difficultés que l’on imagine, sa propre petite troupe, La Compagnie Illicite Bayonne, aujourd’hui composée de sept danseurs, pour laisser libre cours à son instinct créateur. Car sa passion, son amour du mouvement signifiant, son rêve de beauté se sont nourris de ces influences fortes, et l’ont guidé sur une voie dont il espère qu’elle pourra faire reconnaître ses rêves, car les chorégraphes de son style, néoclassique, ne sont pas légion en France à ce jour.
 
Outre le soutien de la maison Repetto, il a ainsi pu convaincre la ville de Bayonne de le soutenir, de lui permettre de travailler dans des locaux fixes, et de l’intégrer à la plateforme Oldeak, qui  développe une zone chorégraphique riche de possibilités diverses. Projet soutenu par d’autres instances, dont la ville de Biarritz, dès cette année.  Autre apport fructueux pour son petit groupe, l’alliance conclue avec le CNSMD de Paris, qui, après lui avoir commandé deux pièces pour ses propres spectacles, lui a prêté cette fois quelques uns de ses meilleurs éléments. L’échange est idéal : possibilité pour le chorégraphe d’élargir son répertoire, possibilité pour les jeunes issus du Conservatoire de s’ouvrir à d’autres types de danse, à d’autres styles.
 
Crying after Midnight © Stephane Bellocq
 
On a donc pu applaudir, conçu avec une sorte d’axe poétique très marqué, et plus ou moins bien suivi, un spectacle marqué par une  belle fluidité de mouvements, une force intérieure très évidente et un amour de la beauté dont Fábio Lopez ose proclamer qu’elle est un de ses buts majeurs. On n’a pas fréquenté le monde de Béjart sans en être marqué pour la vie, à moins de le rejeter totalement, ce qui revient à peu près au même … Lopez, qui fut un beau danseur classique, reste donc fidèle à son héritage et sa chorégraphie, Crying after Midnight, même s’il a parfois créé des pièces d’un ton plus moderne, était imprégnée d’une légèreté fondamentale, d’un désir d’air et de lumière que les couples en présence diffusaient avec grâce et volupté, presque proches de l’esprit Robbins. Et un sens scénique incontestable. La pièce, porteuse de l’amour que Lopez porte aux Nymphéas de Monet, reposait aussi sur un duo d’une harmonie suprême, la musique de Chopin (Prélude n°4 et quelques nocturnes) égrenée par les doigts élégants et mesurés de Maria João Pires, compatriote du chorégraphe, dont il avait choisi l’un des plus beaux enregistrements.
 
Autre temps majeur de la soirée, la pièce chorégraphiée par une belle danseuse biélorusse, installée en Allemagne où elle a été notamment l’interprète de Stephan Thoss, Ludmila Komkova. Le thème : trois sœurs, les trois Moires du monde grec, semblables aux Parques romaines, qui développant chacune une personnalité bien affirmée, malgré leur blancheur commune, entrelacent leurs sensibilités, leurs corps très dissemblables et évocateurs de visions du monde bien différentes, se fondent et s’affrontent avec une mélodicité de gestes qui se marie parfaitement à la charmeuse musique de Debussy, Jeux de Vagues (ext. de La Mer) et les Six Epigraphes antiques.
 
On a également apprécié l’impressionnant Deep Song, de 1937, qui n’est pas tout à fait l’égal du Lamentations de Martha Graham, son chef d’œuvre de 1930, mais frappe aussi par sa lourdeur désespérée, la danseuse ployant sous le poids d’une robe jersey de dix kilos qui manque l’entraîner et la faire chuter lorsqu’elle tournoie. Une recréation difficile à réaliser car donnée dans la lumière originale, ce qui avait disparu jusqu’à présent, et avec une chorégraphie reconstituée, l’original exact s’étant effacé des mémoires. Evocation de Guernica, elle a permis d’apprécier la beauté des cambrés, des cous de pieds et l’expressivité des bras d’Océane Giner.
 
Nos omnes © Stéphane Bellocq
 
Si Nos omnes, de Nicole Muratov , a paru un peu répétitif malgré de belles courbures et le support de la musique de Liszt, on a beaucoup savouré l’énergie, la joie de vivre, la frénésie d’Entity, du grand Wayne McGregor, pour lequel plusieurs jeunes danseurs du Conservatoire parisien se mêlaient au petit groupe de Lopez : irrésistible de fraîcheur, tourbillonnante et bondissante, cette entrée en matière  plaçait la soirée d’emblée sous le signe de la vie, de la joie d’être, sur la musique plus que dynamique de Jon Hopkins.
 
Une soirée bienfaisante tant elle drainait d’énergie et de désir de beauté, et qui en annonce de riches à venir, car Fábio Lopez fourmille de projets, à commencer par une chorégraphie de Hans van Manen qu’il inscrira au répertoire d’Illicite, et un énorme pari : une Belle au bois dormant, qu’il chorégraphiera fidèlement sur la musique de Tchaïkovski dont il est un passionné, avec la participation de recrues du Conservatoire, l’an prochain, et avec une touche d’orientalisme, comme l’air embaumé du persan Golestan, à la fois Palais, poème de Saadi et ballet fameux de Béjart. Ou l’art de cultiver sa bonne étoile.
 
Jacqueline Thuilleux
Bayonne, théâtre Michel Portal, le 19 juin 2021.
(Belle au Bois Dormant prévue à Bayonne le 8 février 2022)  // www.compagnie-illicite.com/
 
Photo © Compagnie Illicite Bayonne
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