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La Compagnie Chorégraphique François Mauduit au Théâtre de Caen – Tout feu tout flamme – Compte-rendu

 

C’est un homme jeune, vibrant, même si pour les danseurs les années comptent double : François Mauduit, à 38 ans, a su garder une légèreté de parcours, une largeur de gestes, une fluidité affinée dans les plus grandes maisons, CNSMDP, Ecole de l’Opéra, puis affirmée dans une troupe comme celle de Béjart, où, pendant quatre années il a pu donner un sens à sa technique. Car cet étonnant feu follet au généreux sourire est habité par la passion de créer, d’avancer tout en conservant, de secouer les préjugés, de rendre justice à ses maîtres, et surtout, de donner de la beauté (mot tabou) en gardant intacte la flamme de son amour pour le ballet classique. Et cet amour ne date pas d’hier : dès l’enfance, à Caen, alors que sa sœur commençait la danse, il la regardait fasciné, et ses playmobils, il les faisait danser. Puis vint pour lui l’heure de passer à l’action, et il ne s’en est jamais repenti ni lassé. Des prix partout, la reconnaissance de ses pairs et très vite, le besoin de créer lui-même, de chorégraphier.
 
François Mauduit © Yann Gouhier
 
Dès ses 23 ans, une petit groupe d’une dizaine était rassemblé par cet enragé, et il a fallu batailler pour trouver de quoi vivre, et surtout montrer son travail chorégraphique. Celui-ci revendique haut et fort, chaussons pointés comme un emblème, son enseignement de pur classique, et on reste confondu, surpris qu’en dehors des compagnies officielles, nationales ou régionales, on ose encore défendre cet art si difficile, et si menacé. Bref, ô surprise, avec quelques aides ici et là, la Compagnie Chorégraphique François Mauduit , composée de jeunes gens aux brillantes formations, continue de lancer arabesques et grand jetés, fouettés et tours en l’air sans aucune mauvaise conscience.  Les voilà donc installés pour travailler dans des locaux toulousains, pour le travail de l’Ecole et du répertoire, et en représentation, entre autres lieux itinérants, au Théâtre de Caen, où on célèbre l’enfant du pays. La vie d’artiste…
 
Virevoltante, joyeuse, chaleureuse soirée donc que celle organisée à Caen pour les quinze ans de la Compagnie, avec quelques interventions filmées en début de soirée, comme celle de Shonach Mirk, ex-étoile emblématique de Béjart, et de Karl Paquette et Delphine Moussin, étoiles de l’Opéra de Paris. La troupe était étoffée, pour sa présentation, d’une myriade de très jeunes gens, le Ballet Junior, en partenariat avec l’Académie Carole Massoutié, près de Toulouse : François Mauduit leur apprend, en les mettant au contact de ses danseurs et de ses spectacles, à préparer un avenir dont ils rêvent sans vraiment l’appréhender. Des dizaines de silhouettes endiablées, mais judicieusement cadrées, ont donc défilé, comme dans les scènes officielles où cela se pratique habituellement, au son de Glinka, Ponchielli et Meyerbeer. Moment jubilatoire tant leur bonheur était perceptible. Mariage d’humour et de solennité !
 
Puis le programme, copieux, a montré l’attachement de Mauduit aux grandes bases classiques et donné une image assez complète de son inspiration chorégraphique et de son talent de danseur, notamment dans le délicieux Et maintenant, sur la chanson de Bécaud, que seul, il a animée avec une souplesse de bras admirable, (la pièce est dansée un peu partout depuis sa création en 2005). Le solo, scandé par le Boléro de Ravel, sur lequel s’inscrivait donc la chanson, conduisait ensuite à l’intégrale de ce même Boléro, cette fois dansé par la troupe (photo) : un pari risqué pour qui a connu de près la version culte de Béjart. Lui y a mis, au lieu d’une pulsion orientalisante, la force de frappe du danseur se battant contre lui-même, avec ses faiblesses et ses élans, jusqu’à la maîtrise de soi.
 
Fancy Dances © Arges Photographie

Une puissante rencontre avec le rythme obsédant de la musique que cette frénésie gymnique, finalement dominée, et sur laquelle se terminait la soirée, laquelle avait commencé, outre le défilé initial,  sur des œuvres d’un tout autre style: en premier la version intégrale du 1er Concerto de Tchaïkovski, compositeur fétiche de Mauduit, construit de façon très classique, avec ses trois mouvements permettant l’alternance du grandiose, du lyrique et du vif. De quoi faire briller un joli couple, Haruka Ariga et le pétillant Lorenzo Bernardi, et montrer la bonne santé classique du groupe. Puis, à notre sens, la composition la plus aboutie du programme, le Fancy Dances, sur le 1er  mouvement du Concerto pour piano de Stravinsky, et l’Aria II du Concerto pour violon. Une allure balanchinienne certaine, moins le côté tape-à-l’œil à l’américaine, des enchaînements, des quinconces, des croisements complexes, où une très belle ballerine, Capucine Ogonowski, a joué un jeu gagnant, face à un solide partenaire, Francesco Cafforio.
 
En fait, lorsqu’on parcourt les grandes lignes de cette vie de danseur et de chorégraphe, on est saisi par cette boulimie d’action, de diffusion, cette joie de vivre et de danser que François Mauduit infuse sans relâche à ses ballets et aux jeunes gens qu’il met sur ce chemin de beauté, de rigueur acceptée et de quête de soi, et aux soutiens qu’il parvient à obtenir. Le printemps 2022 verra ainsi la 6e édition du Prix Nijinski qu’il a créé à Deauville pour motiver les jeunes danseurs. Avec, à l’horizon de cette fin d’année, une Madame Butterfly, au Théâtre de Caen. Encore une aventure osée, à suivre assurément.
 
Jacqueline Thuilleux

Théâtre de Caen, le 19 octobre 2021.
 
Madame Butterfly, le 21 décembre 2021. www.theatre.caen.fr 
 
Site de la Compagnie François Mauduit :
 
www.francois-mauduit.fr/

Photo © Arges Photographie

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