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La Chronique d'Emilie Munera – 2023 au féminin

 
“Pouvez-vous me citer les noms de trois compositrices ?” Il y a une dizaine d’années, cette question aurait laissé pantois de nombreux mélomanes. Après réflexion, quelques noms auraient timidement émergé. Clara Schumann peut-être, ou Fanny Mendelssohn. Les œuvres de ces deux musiciennes n’ont souvent trouvé la voie du concert que par la mise en miroir avec celles de leur époux ou frère, n’existant que par le prisme de leurs homonymes masculin.
 
Fanny Hensel Mendelssohn (1805 - 1847) © DR

Depuis quelques années, les choses ont évolué. Porté par le mouvement “Metoo”, de nombreux collectifs ont eu l’occasion d’entrer dans la lumière. C’est le cas de Présences compositrices, association pionnière qui dédie depuis 2006 son travail à la promotion des compositrices. Elle ne cesse d'ailleurs d’étendre son réseau avec la naissance récente d’un label dont la première sortie est consacrée à la musique de Marie Jaëll – un remarquable enregistrement du cycle Ce que l’on entend, d’après Dante, sous les doigts de Célia Oneto Bensaid. Dans le même esprit ComposeHer ou Elles Women Composers portent les mêmes ambitions : faire jouer, enregistrer et éditer la musique des compositrices.

Au fil des années, ces dernières se sont donc invitées de plus en plus souvent dans notre vie musicale. On a pu entendre les pièces pour piano de Cécile Chaminade, les symphonies de Louise Farrenc et d’Emilie Mayer ou encore la musique de chambre et la Symphonie « Grande Guerre » de Charlotte Sohy. On a découvert que Rebecca Clarke avait écrit bien plus qu’une sonate pour alto et qu’une certaine Sophie Gail avait signé des opéras-comiques à succès – l’Opéra d’Avignon vient d’ailleurs de recréer sa Sérénade.

La musique de ces oubliées a progressivement quitté son cénacle d’initiés pour s’inviter dans les programmes des plus célèbres interprètes. Exemple avec le chef québécois Yannick Nézet-Séguin qui a récemment révélé au monde les symphonies de Florence Price, compositrice qui affirmait souffrir de deux handicaps : celui d’être une femme et qui plus est, noire. Elle sera la première afro-américaine jouée par un orchestre majeur du pays, celui de Chicago.

Rita Strohl (1865-1941) © DR

Les institutions ont également suivi le mouvement : l’Orchestre de chambre de Paris fera la part belle à Germaine Tailleferre à la Cite de la musique le 26 janvier ; le Philharmonique de Marseille défendra Lili Boulanger, Louise Farrenc et Mel Bonis en mars prochain (7). Radio France consacre son mois de janvier à la compositrice et pédagogue Nadia Boulanger. Quant au célèbre Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française, il a lui aussi lancé son “cycle compositrices”… Prochain arrêt à Metz le 3 février pour une confrontation entre Richard Wagner et Augusta Holmès. En attendant la sortie au printemps d’un coffret « Compositrices » totalisant une dizaine d’heures de musique.

Des compositrices de mieux en mieux servies, on ne peut que s’en réjouir. D’autant plus que certaines découvertes sont extrêmement enthousiasmantes. J’ai évoqué Florence Price. La musique de Rita Strohl fut aussi pour moi une révélation musicale. Cette musicienne atypique rêvait de fonder un mini-Bayreuth à Bièvres pour y accueillir ses opéras d’inspiration chrétienne, hindoue et celtique. Elle laisse une œuvre mystique et symboliste, d’une incroyable originalité, dont il reste encore beaucoup à découvrir – Edgar Moreau et David Kadouch ayant ouvert la marche avec leur enregistrement de la Grande sonate dramatique « Titus et Bérénice » (Erato)

Jouer leurs œuvres est essentiel. Mais cela me conduit toutefois à une réflexion. A vouloir trop exhumer et placer toutes les compositrices et leurs pièces sur un pied d’égalité, ne risquons-nous pas de passer à côté de chefs-d’œuvre, noyés dans une actualité trop prolixe ? Chez les compositrices, comme chez les compositeurs, il y a du bon et ... du moins bon. Souhaitons donc pour la nouvelle année, que les plus belles pièces trouvent leur juste place, et qu’elles soient enfin enseignées dans les conservatoires, sans distinction de sexe.
 
Emilie Munera

 

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