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La Chronique de Jacques Doucelin - Une convention entre l’INA et l’Opéra : le fonds Liebermann va-t-il enfin sortir ?


L’heure lyrique à Paris est au rétro tous azimuts. Pour le centenaire de Rolf Liebermann, l’Opéra Bastille a remonté tout exprès la production emblématique de son règne à l’Opéra de Paris (1973-1980) Les Noces de Figaro de Mozart qu’avait signées Giorgio Strehler. Quant à l’Opéra Comique, il s’apprête à remettre à l’affiche le fameux Atys de Lully (12 au 21 mai), qui décida, voilà un quart de siècle, du triomphe définitif de la révolution baroque en musique. Même si les protagonistes de ce succès international, William Christie et Jean-Marie Villégier, seront à nouveau aux commandes de cette reprise, rien n’assure que la magie sera toujours au rendez-vous de ce spectacle mythique, car l’œil et l’oreille des mélomanes se sont modifiés en une génération. C’est un pari.

La nostalgie rétro qui a ainsi présidé toute la saison à ces deux plongées dans le passé lyrique le plus glorieux a du coup relégué à l’arrière-plan de l’actualité la signature d’une convention de sauvegarde et de numérisation du fonds audiovisuel et sonore constitué depuis 1971 par l’Opéra de Paris, entre l’Institut National de l’Audiovisuel et notre première scène lyrique et chorégraphique nationale. Ce fonds est constitué de quelque 10.000 supports représentant plus de 7000 heures d’images et plus de 6000 heures de son. Il s’agit de rien moins que de la mémoire d’un travail quotidien sur plus de quatre décennies.

L’Ina sera en outre chargé du stockage de toutes les captations réalisées par les équipes internes de l’Opéra de Paris lors des répétitions générales et des représentations d’opéras et de ballets ainsi que des concerts. Le fonds audiovisuel de l’Opéra sera désormais disponible dans les conditions du dépôt légal pour un public de chercheurs dans le cadre de l’activité de consultation de l’Inathèque. Danseurs et chorégraphes devraient aussi avoir moins de difficultés à reconstituer le travail de leurs aînés sur des ballets vieux de plusieurs décennies. Mais la convention rappelle que la mission première de l’INA consiste à rassembler et à conserver les images et les sons, à leur donner du sens et à les partager avec le plus grand nombre.

Cette dernière préoccupation rencontre également ce que prévoient justement les statuts de l’Opéra de Paris, qui font obligation à cet établissement public de « diffuser ses productions par des moyens audiovisuels ». Dès lors, le destinataire naturel de ce fonds ne sera donc plus seulement le milieu professionnel, mais aussi le grand public. Il est alors permis de mettre beaucoup d’espoir dans une commercialisation des principales productions lyriques et chorégraphiques de la « Grande Boutique » comme cela se fait depuis belle lurette à Londres, Vienne, Milan, New York ou Berlin. Faut-il rappeler que telle était l’objectif de Rolf Liebermann lorsqu’il avait signé un contrat avec feue Antenne 2, mais que cette initiative était hélas demeurée lettre morte en raison de l’intransigeance financière des personnels maison ?...

Il faut souhaiter que ces « produits » filmés, certes bloqués par l’avarice du syndicat des musiciens notamment, aient pu être conservés et pourront être versés au pot commun avec l’INA. Et pourquoi pas commercialisés… On se souvient que Rolf Liebermann avait tenté de contourner l’obstacle en organisant des diffusions en direct des spectacles de l’Opéra dans des salles de cinéma équipées en dolby… ce qui se fait, quarante ans plus tard, dans de nombreux pays ! Finalement, il avait décidé de créer le « film opéra » avec le magnifique Don Giovanni de Mozart réalisé par Joseph Losey dans la sublime villa Rotonda du Palladio. Comme quoi l’imbécilité n’a jamais suffi à arrêter les vrais créateurs.

Jacques Doucelin

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Photo : DR

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