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La Chronique de Jacques Doucelin - Pour la relève du chant français

Dans une excellente interview au mensuel Opéra Magazine, Michel Sénéchal, l'un des plus célèbres ténors français, dit son inquiétude pour l'avenir et surtout pour le perfectionnement de ses cadets. Venant de l'un de nos trop rares chanteurs à avoir fait une carrière internationale et d'un pédagogue hors pair qui a exercé un rôle essentiel lors de son passage à la tête de l'Ecole d'art lyrique de l'Opéra de Paris, ses propos doivent être pris en considération. Déplorant la suppression depuis une trentaine d'années des troupes de chanteurs, qui constituaient au sein de nos théâtres lyriques autant de viviers pour les jeunes professionnels, il réclame qu'au moins les principaux d'entre eux reforment des troupes, même temporaires, d'une quinzaine de chanteurs.

La question ainsi posée, c'est quoi faire des jeunes voix formées par nos conservatoires nationaux avant de les lâcher dans la carrière ? Certains directeurs d'Opéra responsables – mais oui, il y en a! - n'ont pas hésité à fidéliser des chanteurs réinvités régulièrement comme ce fut le cas à l'Opéra nouveau de Lyon inventé par Louis Erlo et Jean-Pierre Brossmann, où une vraie troupe reposait sur un Atelier lyrique confié à l'époque à Claire Gibault. En peu d'années, Lyon devint ainsi une pépinière de voix. Pour tout le pays. Et même au-delà.

A l'Opéra du Rhin, les Jeunes voix du Rhin ont joué un rôle semblable qui est celui d'un Opéra Studio dont la formule est sans doute la meilleure pour prendre le relai des défuntes troupes. C'est aussi la mission que s'est donnée le CNIPAL (Centre National d'Insertion Professionnelle pour les Artistes Lyriques) basé à Marseille. Il faut ajouter d'autres organismes soutenus par l'Etat pour assurer l'insertion professionnelle des jeunes chanteurs comme l'ARCAL du metteur en scène Christian Gangneron qui monte des spectacles lyriques du baroque au contemporain afin de les faire tourner dans le pays. La Péniche Opéra de Mireille Larroche fonctionne un peu sur le même modèle. C'est aussi la vocation d'Opéra éclaté qui chaque année fait voyager à travers la France le nouveau spectacle présenté l'été au Festival de Saint-Céré.

Aussi bien le problème n'est-il plus aujourd'hui de reconstituer à l'identique les anciennes troupes lyriques comme un certain Parlement des musiciens le réclame dans un grand élan corporatiste dont on sait bien que les exagérations furent à l'origine de la suppression des dites troupes devenues ingérables parce que certains croyaient y avoir trouvé des asiles pour artistes ratés : combien de ces pseudo-chanteurs ne chantaient même pas une fois dans l'année ? Ca n'était même pas de l'intermittence... A ces folies, il faut avoir le courage de dire non. Non par souci d'économie, mais de dignité humaine. Ce que propose Michel Sénéchal dans son interview est autrement intéressant : il est suffisamment au fait des réalités pour ne pas partir de rêves fumeux, mais de la situation actuelle. L'Etat s'engageant davantage financièrement à l'égard des théâtres auxquels il confère le label de « national », il serait bien placé pour les encourager – fortement ! - à accueillir un noyau de jeunes chanteurs professionnels, de huit à douze. Où les chercher? Essentiellement dans les régions, car le Conservatoire National Supérieur de Paris ne joue plus son rôle formateur échappant de plus en plus aux musiciens professionnels au profit de musicologues aussi narcissiques que stériles.

Il y a aussi l'actuel Centre de formation lyrique de l'Opéra de Paris dont il serait plus que raisonnable qu'il s'installe salle Favart où ses stagiaires pourraient efficacement participer au renouveau du répertoire de cette salle qui est tout simplement le nôtre. Mais là nous touchons à la définition même du cahier des charges de cette vénérable maison que l'Etat a pourtant enfin dotée d'une subvention digne de ce nom. On se désole de la voir gaspillée en nuitées d'hôtel pour des musiciens et des choristes britanniques venus avec John Eliot Gardiner pour présenter L'Etoile de Chabrier : n'y avait-il pas d'orchestre et de choeur parisien pour cette oeuvre si typiquement française ? On aime bien Gardiner dans Les Troyens de Berlioz, mais enfin...c'est cher payé. En tout cas, il y aurait mieux à faire. Accueillir, par exemple, les meilleurs spectacles de la saison en région et y envoyer, en échange de bon procédé, les dernières productions phares de la salle Favart qui jouerait alors un rôle déterminant d'aiguillon de la vie lyrique nationale et partant de garantie d'emploi de nos jeunes chanteurs. Serait-ce trop demander ?

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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