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La Chronique de Jacques Doucelin - Musique et magie

Paris n’a toujours pas son auditorium symphonique de plus de 2000 places. Ca n’a pas empêché les plus grands chefs du monde et les phalanges les plus prestigieuses de s’y succéder depuis la rentrée. Qui s’en plaindrait ? Vous ne me croyez pas ? La liste en est facile à dresser : sans parler de Kurt Masur qui y est chez lui à la tête de l’Orchestre National de France, les mélomanes ont pu entendre Mariss Jansons avec sa phalange de la Radio bavaroise, Pierre Boulez avec l’Ensemble Modern, Riccardo Muti pour deux soirées avec l’Orchestre de Chicago, Seiji Ozawa avec le National et Valery Gergiev avec l’Orchestre de Paris, ces deux derniers maestros prolongeant leur séjour parisien à l’Opéra où ils s’apprêtent à diriger respectivement le nouveau Tannhäuser de Wagner signé Robert Carsen et le Roméo et Juliette de Berlioz chorégraphié par Sasha Waltz.

Sans revenir sur les prestations dont nous vous avons déjà rendu compte, disons que la grande machine de Georg Solti que fut naguère l’Orchestre de Chicago a eu du mal à trouver ses marques face à la direction suprêmement élégante, presque distanciée, de Riccardo Muti. Les fauves se lâchèrent la seconde soirée (Pleyel, 3 octobre) dans la 3ème Symphonie de Prokofiev. La 2è Suite du Tricorne de Falla comme la Rapsodie espagnole de Ravel en furent plus hollywoodiennes qu’ibériques ! Quant au célébrissime Boléro, il fut tenu avec une telle rigueur qu’il ne parvint jamais jusqu’à cette ivresse dionysiaque qui peut seule le sauver de l’ennui répétitif…

Mais Muti avait gardé sa botte secrète pour le bis avec sa chère ouverture de La Force du destin de Verdi : les musiciens décollèrent enfin de leurs chaises pour mieux répondre à l’enthousiasme du maestro. Le concert s’achevait par là où il aurait dû commencer ! Le moment le plus rare de toutes ces soirées exaltantes fut sans conteste le concert de musique française dirigé par Ozawa à la tête du National (Théâtre des Champs-Elysées, 4 octobre). Seule la musique eut la parole ce soir-là. Pour mieux la saisir et nous la communiquer à travers ses musiciens, Ozawa dirigea par cœur et à mains nues : à plus de 70 ans, il saute comme lorsqu’il en avait 30 avec ces détentes fulgurantes qui épousent celles du génie.

Seul véritable disciple de Munch, il trouve spontanément le style de Ravel dans Pavane pour une infante défunte et replace comme en se jouant Mystère de l’instant de Dutilleux dans la tradition nationale avant de soulever l’enthousiasme de la salle avec une Symphonie Fantastique de Berlioz revécue de l’intérieur. Car Ozawa est actuellement le seul chef à ne pas séparer sa propre jouissance musicale de la communication de sa passion à l’orchestre. Cet authentique dédoublement de la personnalité transforme ses apparitions en aventures proprement inouïes. C’est là une vraie démarche de medium, au meilleur sens du terme, Ozawa renouant avec les origines magiques de la musique. Dutilleux n’était pas le moins bouleversé à l’issue de ce concert mémorable.

Quand on a assisté à ce véritable miracle au milieu des responsables de Radio France, on a peine à croire qu’ils aient pu renouveler le contrat de Myung Whun Chung à la tête du Philharmonique jusqu’en 2012. Mystère insondable du processus de décision dans l’administration…

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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