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La Chronique de Jacques Doucelin - Massimo Bogianckino, restaurateur du répertoire lyrique français - Hommage Concertclassic

Je vous disais l’autre jour que les média français ne s’étaient guère intéressés à la mort de Wolfgang Wagner, le petit-fils de Richard. Ce fut pire encore avec la disparition de l’Italien Massimo Bogianckino(1922-2009), à la fin de l’année dernière. Mise à part la revue spécialisée Opéra Magazine, ce fut un silence étourdissant. Et pourtant, les raisons de rendre hommage à ce grand défenseur du répertoire français ne manquaient pas ! Le règne des sept années de vaches grasses de Rolf Liebermann, dont on fêtera le centenaire à la rentrée, s’était poursuivi par le passage éclair de Bernard Lefort qui n’avait même pas achevé son mandat de trois ans.

Maurice Fleuret, inventeur de la Fête de la musique alors directeur de la musique dans le premier ministère Jack Lang, avait par chance réussi à débaucher Massimo Bogianckino, fin musicologue, directeur du Teatro Communale et du Mai de Florence, homme marqué à gauche, mais appartenant à l’aristocratie culturelle italienne. Lui non plus ne devait pourtant pas terminer son mandat : découragé par le parisianisme et touché par le virus de la politique, Massimo Bogianckino se lança avec succès à l’assaut de la mairie de la ville des Medicis. Ainsi disparut-il prématurément au bout de deux années de la scène parisienne et son legs fut-il promptement oublié…

Ce grand seigneur de l’Europe de la culture signa, en effet, son passage dans la capitale française par un retour décidé au répertoire national qu’il avait appris à connaître lors de ses études musicales à Paris, notamment à l’Ecole Normale de Musique. Car cet excellent pianiste y avait notamment travaillé avec Alfred Cortot et Nadia Boulanger. C’est ainsi qu’il put se couler tout naturellement dans la descendance de ces grands prédécesseurs italiens, de Salieri à Cherubini surtout, le premier directeur du tout nouveau Conservatoire de Paris créé sous la Révolution en 1795.

Massimo Bogianckino savait d’expérience que tous les grands compositeurs d’opéras italiens du XIXe siècle, de Rossini à Verdi, avaient destiné des œuvres spécifiques à l’Opéra de Paris et en avaient adapté d’autres aux nécessités de la langue française ainsi que des traditions de l’Opéra de Paris, notamment celle du sacro-saint ballet ! C’est ainsi qu’il ouvrit son mandat avec la résurrection de Moïse et Pharaon de Rossini au Palais Garnier dans une mise en scène de son ami Luca Ronconi, mais confiée à la baguette de Georges Prêtre, le plus italien des chefs lyriques français. Il assura ensuite la création mondiale du Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen, commande héritée de Rolf Liebermann, et sut faire venir à Paris l’extraordinaire production de L’Enlèvement au sérail de Mozart signée Giorgio Strehler dont les savoureuses « silhouettes » avaient déjà fait le tour du monde.

Cet Italien racé eut la délicatesse de ne pas oublier le Germain francisé en père du « Grand Opéra », Meyerbeer dont Robert le Diable retrouva soudain l’affiche après des décennies d’absence dans la vision échevelée de Petrika Ionesco. On se souvient de la coupole géante exigée par la cinéaste italienne Liliana Cavani pour une mémorable version française d’ Iphigénie en Tauride de Gluck. Ce faisant, Massimo Bogianckino réalisait ce qu’aucun administrateur français n’aurait pu entreprendre sans être immédiatement taxé de « nationalisme » : une authentique restauration du répertoire français après la cure aussi indispensable que salutaire d’internationalisme lyrique pour laquelle Marcel Landowski et Hugues Gall étaient allés chercher Rolf Liebermann.

Ce retour du grand opéra à la française dû à un étranger désarma les critiques systématiques sans entamer l’enthousiasme du public tout à la joie de la découverte, passant de Jérusalem et Macbeth de Verdi à l’Alceste de Gluck. Ainsi, comme c’est souvent le cas, ce pape de transition solda l’héritage germanique de Rolf Liebermann pour mieux rétablir l’institution parisienne dans sa tradition propre fortement marquée par le ciel italien. Tel fut le rôle, bref mais décisif, dévolu à Massimo Bogianckino dans la longue et féconde chaîne des Italiens de Paris.

Jacques Doucelin

Photo : DR
 

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