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La Chronique de Jacques Doucelin - Mais non, tout ne va pas si mal !

Un grand journaliste du XXe siècle, Pierre Viansson-Ponté, celui qui annonça avec dix jours d’avance l’éclatement des événements de mai 68 dans son fameux édito du « Monde », « La France s’ennuie », affirmait que l’information ne commence que lorsqu’un train n’arrive pas à l’heure. Façon élégante de dire que le respect des horaires allait alors de soi et ne méritait donc pas l’honneur de la presse. Dans un monde où décidément rien ne s’arrange et où les journalistes politiques sont incapables d’expliquer ce qui se passe sous leurs yeux, la rareté de ce qui va bien fait que cela devient ipso facto une information. C’est pourquoi je souhaite vous entretenir dans ces jours de perplexité électorale de ce qui tourne rond et peut donner matière à se réjouir… malgré tout.

J’étais l’autre soir à l’Opéra Bastille tout émoustillé de découvrir cette Juive de Jacques Fromental Halévy, beau-père de Bizet, qui tint le haut du pavé lyrique durant tout un siècle, de sa création en 1835 à l’entre-deux guerres. Pour avoir fait le bonheur des bourgeois de la Monarchie de Juillet et du Second Empire, sa musique serait-elle donc nulle ? Par-delà Rossini et Meyerbeer, elle nous mène jusqu’à Gounod et Massenet. C’est le chaînon manquant : il faut féliciter Gerard Mortier de l’avoir ressuscité en s’en donnant les moyens musicaux et vocaux.

Bravo, d’abord, au chef Daniel Oren et aux musiciens de l’Opéra qui en chantant dans leur arbre généalogique ont prouvé qu’ils constituent une phalange internationale du plus haut niveau. Je n’en veux pour preuve que le calamiteux Eugène Onéguine qu’Arte a récemment retransmis du Met de New York : l’orchestre de James Levine est si piteux que le tsar russe de la baguette lui-même, le grand Gergiev, fut impuissant à lui insuffler l’indispensable style russe ! A l’inverse, l’Orchestre de l’Opéra de Paris a su alléger son jeu sans jamais brider l’expression de la passion humaine portant les chanteurs au bout de l’archet.

Ceux-ci comptent notamment deux immenses chanteuses, l’Italienne Anna Caterina Antonacci et la Française Annick Massis qui atteint enfin les sommets que sa maîtrise vocale mérite. Certes, le ténor américain Neil Shicoff n’a plus l’âge de chanter Eléazar, mais il possède et le style français et les qualités de jeu pour incarner au mieux ce personnage ambigu. Grâce à l’orchestre et aux solistes, justice a été rendue à cet ouvrage disparu du répertoire.

Autre sujet de satisfaction : l’admirable flexibilité de l’Orchestre National de France qui a sonné comme une authentique phalange russe sous la baguette du jeune Tugan Sokhiev dans la seconde version de la Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch. Ou encore l’exaltante soirée donnée au Théâtre des Champs-Elysés par la Philharmonie de Vienne que Dominique Meyer a réussi à fidéliser sur les bords de Seine : avec la géniale complicité de Christian Thielemann, les Viennois ont traversé le miroir dans une inoubliable 8ème Symphonie de Bruckner qui a transporté la nombreuse assistance. Non, avenue Montaigne, la tradition d’excellence ne s’est pas perdue.

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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