Journal

La Chronique de Jacques Doucelin - Joyeuses fêtes !

Passer d’une année à l’autre fournit l’occasion de dresser un bilan de la vie musicale nationale sur une période significative au gré des manifestations. C’est peu dire qu’on se sera autant enthousiasmé que désespéré en l’an 2007. Exemple : l’autre dimanche à l’Opéra Bastille, Tannhäuser de Wagner est chanté en costumes, mais sans les décors et les éclairages de la nouvelle production de Robert Carsen pour cause de grèves. A la fin, ce spectacle avorté va être sifflé… Que nenni ! On assiste à un triomphe inimaginable : tandis que l’orchestre remercie le génial Ozawa en tapant des pieds à tout va, le public se lève comme un seul homme pour acclamer le chef japonais et la distribution. Oubliée la grogne des machinistes, pire, passée à la trappe des pertes et profits de la Grande Boutique. De quoi nourrir les méditations de Gérard Mortier.

Car si l’on regrette que ce soit l’un des meilleurs metteurs en scène de sa génération qui fasse les frais de ce conflit social, il faut en tirer deux conclusions : un, les techniciens devraient prendre conscience qu’ils ne sont pas indispensables, ils ne prennent plus personne en otage, deux, le directeur de l’Opéra qui s’est ingénié depuis son arrivée à caresser son public à rebrousse poil en lui imposant des metteurs en scène adeptes de la déstructuration à tout va comme cela se fait depuis plus d’un quart de siècle de l’autre côté du Rhin, n’a pas réussi à évangéliser ses clients qui affirment ainsi leur préférence pour la musique. C’est plutôt bon signe.

Ils n’ont pas tort, car la qualité de l’Orchestre de l’Opéra est du plus haut niveau européen quand il est ainsi entre des mains aussi expertes qu’inspirées. C’est d’ailleurs une tendance qui s’observe tant dans les autres grandes phalanges parisiennes qu’en région : le plan Landowski, malgré tous ses ennemis, a porté ses fruits et la qualité des prestations de musique classique est en progrès constants et réguliers dans l’Hexagone. Il suffit de voyager un tant soi peu pour le constater. Je dirai que c’est un vrai bonheur. Tandis que la nouvelle génération de chanteurs français retrouve, après celle des Crespin, des Bacquier et des Sénéchal, le chemin des scènes internationales, de Natalie Dessay à Annick Massis en passant par Roberto Alagna, nos instrumentistes sont également de mieux en mieux formés, même si cela n’est pas obligatoirement au Conservatoire de Paris.

Bref, voilà une génération de musiciens français qui est prête à répandre la bonne parole à travers le pays pour peu que l’Etat se montre capable d’imaginer une politique de diffusion, donc d’aide à la diffusion, digne de ce nom. Et ça n’est pas une question de moyens financiers : car ils existent en suffisance. Ce qui manque apparemment, c’est la compétence des responsables, qui leur permettrait de trouver les clefs de répartition des susdits moyens afin de favoriser au mieux la rencontre des musiciens et de leur public. Tandis qu’on entend parler de gratuité d’accès aux musées, la panacée en musique serait la reconstruction d’un vaste lieu où tout serait concentré….

Nous avons bien dit re-construction. Osera-t-on rappeler, en effet, que Jack Lang dont certains, à droite comme à gauche, n’évoquent pas les magistères culturels successifs sans trémolo dans la voix, a tout de même sur la conscience d’avoir privé Paris de sa seule grande salle de concert : 4.000 places au Palais de Chaillot où un certain Jean Vilar, un authentique démocrate de la culture celui-là, avait réussi son pari de Théâtre National Populaire ! Après l’avoir démolie, va-t-on la reconstruire à La Villette, et encore, réduite de moitié ? Il ne faudrait tout de même pas avoir la mémoire courte au point de se moquer du monde.

Pour se calmer, prenons le TGV jusqu’à la sublime Place Stanislas à Nancy décorée pour Noël avec un art à rendre ringardes les illuminations de la capitale. Dans la bonbonnière XVIIIe du Théâtre, la coopération des deux institutions lyrique et chorégraphique de la région, l’Opéra National de Lorraine et le CCN Ballet de Lorraine, a une fois de plus produit un miracle : la présentation des trois versions successives des Noces de Stravinski. Orchestre et Chœurs au grand complet font entendre d’abord celle de 1917 encore toute bruissante du scandale du Sacre du printemps quatre ans plus tôt au Théâtre des Champs-Elysées à Paris : c’est rugueux, sauvage en diable sous la baguette juvénile du New Yorkais Jonathan Schiffman – retenez son nom !

Vient ensuite la version française de la création par les Ballets Russes à Monte Carlo en 1923 avec quatre pianos et six percussions dans la chorégraphie originale de la sœur de Nijnsky : on y sent l’influence du poète Ramuz, librettiste d’Histoire du soldat et l’on y chante un peu moins. Retour au russe, mais toujours dans l’orchestration de 1923, avec la création de la chorégraphie du Finlandais Tero Salinen. Celui-ci mêle solistes et choristes aux danseurs pour un spectacle qui atteint à une réelle unité sans rien perdre de sa vigueur paysanne. Ce sont ces deux versions chorégraphiées qui seront présentées en ouverture du Festival de danse au Châtelet, les 4 et 5 avril prochain. Qui a dit qu’il ne se passait rien en province ?

Et joyeux Noël à tous.

Jacques Doucelin

Vous souhaitez réagir à cet article

Les autres chroniques de Jacques Doucelin

Photo : DR
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles