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La Chronique de Jacques Doucelin - Faisons un rêve…

Et la culture bordel ! C’est la réaction qui s’imposait à l’issue du premier tour au cours duquel la douzaine de candidats a manifesté la même verve oratoire qu’une carpe en matière culturelle. Seul François Bayrou avait osé organiser au Sénat un débat courageux sur la culture. En dépit de diverses promesses et de la « starisation » qui leur tient lieu de politique culturelle, on n’a pas eu l’impression que les deux finalistes en aient fait la priorité de leurs programmes respectifs : c’est bien là leur seul point commun… Et qui ne laisse pas d’inquiéter quand on sait qu’une vigoureuse politique de démocratisation de la culture sera une nécessité dans la passe difficile que la nation devra, de toute façon, affronter, quel que soit le pilote pour les cinq ans à venir.

Il ne s’agit de rien moins, en effet, que de pallier les erreurs d’une Education nationale incapable d’intégrer correctement les jeunes issus de l’immigration. C’est peut-être dans cette optique que Nicolas Sarkozy propose, lui, de supprimer purement et simplement le Ministère de la Culture au profit d’un Secrétariat d’Etat directement rattaché à l’Education nationale… comme aux plus belles heures de la Quatrième République. Mais la nation savait alors trouver en son sein des Jeanne Laurent pour soutenir, par exemple, l’action exemplaire d’un Jean Vilar à la tête de son Théâtre National Populaire. Des gens de cette trempe nous manquent cruellement aujourd’hui pour mettre en œuvre une authentique démocratisation de la culture. Car nous avons toutes raisons de craindre qu’en lieu et place d’une Jeanne Laurent on désignera un énarque irresponsable et motivé uniquement par les progrès de sa petite carrière administrative.

Alors pourquoi ne pas rêver tout haut tout en faisant écho aux préoccupations d’une de nos abonnées (lire), Madame Véronique Fabrèges qui nous trouve trop malthusiens en matière d’auditoriums symphoniques à Paris et de démocratisation musicale ? Faisons donc un rêve. La démocratisation de la culture n’est pas seulement une question de prix, voire – osons le mot – de gratuité. Ca n’est pas parce que les spectacles de l’Opéra de Paris seraient gratuits que ses deux salles seraient forcément pleines. De plus, on paye bien son café au bar ou pour assister à un match de boxe, la gratuité totale ne nous paraît pas forcément une bonne chose. Que les scolaires puissent se rendre avec leurs maîtres sans payer au musée, au théâtre ou à l’opéra est non seulement souhaitable, mais nécessaire si l’on veut créer des habitudes et des réflexes de consommation culturelle. En revanche, tout aussi important, voire bien plus important, me paraît une démocratisation par la décentralisation.

Il faut à coup sûr sortir au maximum la culture de ses temples habituels qui effraient le nouveau public encore plus que le prix des places. Sans tomber dans le gigantisme affairiste du Grand Stade de France, vraiment inapte et inadapté à l’art lyrique, rien n’empêche de programmer de longues séries de titres populaires comme « Carmen », « Don Giovanni », « Traviata », « Tosca » ou les opérettes pour des fins d’années festives dans des palais des sports. Pour ne pas parler du ballet qui supporte encore mieux que le lyrique la pratique hors les murs. C’est une question de volonté et d’organisation. A coup sûr pas d’argent, car plus le lieu est grand, plus on peut baisser le prix des places sans subvention supplémentaire.

Si pour des raisons de sécurité et de conservation que chacun peut comprendre, il semble bien plus difficile de sortir les pièces les plus précieuses de leur cadre muséographique, pourquoi ne pas imaginer des prêts et des échanges d’un musée, d’une région à l’autre ? On peut aussi imaginer tout un mois gratuit autour de la « Joconde » dans son écrin du Louvre avec une équipe de conservateurs, voire de journalistes spécialisés conférenciers pour initier le public. Les scolaires pourraient être conviés le matin, les adultes qui travaillent en nocturne. Encore une fois, c’est une question de saine gestion des crédits publics, d’imagination et de volonté de sortir des sentiers battus. Et aussi d’aller voir ce qui se fait dans le genre à l’étranger sans être paralysé par le sacro-saint « on n’a jamais fait ça » : raison de plus pour passer à l’acte ! Ainsi sont nées il y a quarante ans les fameuses Maisons de la Culture qui ont formé un collier à travers l’Hexagone. Mais ces fameuses « usines à rêves » sont sorties du cerveau d’un vrai homme de culture, l’écrivain André Malraux. Pas d’un énarque ! Rêvons donc que le prochain locataire de l’Elysées mette un homme de l’art, un poète à la tête de la Culture…Oui, rêvons donc, car comme dans « Carmen » : « il en est temps encore »…

Jacques Doucelin

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Photo : DR
 

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