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La Cambiale di matrimonio de Rossini aux Nuits de Fourvière - Un régal ! - Compte-rendu

C'est une des spécificités du Festival d'Ambronay, dirigé par Alain Brunet, ancien professeur : révéler de jeunes talents à travers son Académie. Force est de constater, cette année, que la moisson est exceptionnelle. D'abord parce que cette Cambiale di matrimonio, premier opéra d'un Rossini de 18 ans, loin d'être simplement une œuvre de jeunesse, constitue déjà une œuvre personnelle. 25 ans après Les Noces de Figaro, sur un même canevas de mariage dévoyé par les domestiques, il est assez singulier de voir à quel point l'art rossinien se met déjà en place.
Dès l’ouverture, le duel des cors et des flûtes sur des cordes galopantes affûte déjà les joutes mélodiques propres au bel canto. La cavatina d'entrée de Slook, canadien ne comprenant rien au vieil esprit européen, bascule rapidement la mélodie du côté des cordes, les chanteurs devenant un commentaire de l'orchestre, selon l'inversion chère au compositeur italien. Le duetto d'amour de Fanny et Edoardo, charmant comme une première nuit d'amour, se déploie en vocalises tandis que le terzetto central voit les trois barytons se battre en duel en s'adressant des répliques fusées jusqu'à ce que crescendo s'ensuive...

L'autre bonne nouvelle, c'est la découverte d'un véritable chef de bel canto, et ils ne sont pas nombreux. Déjà remarqué dans le répertoire baroque pour la découverte d'Il Diluvio universale de Falvetti, Leonardo Garcia Alarcon (photo), a tout compris à Rossini. Là où nombre d'orchestres jouent cette musique à l'harmonie simple comme bonjour avec condescendance, lui en a compris la folie méthodique, progressive, toujours tapie sous la légèreté mais reposant sur une solide architecture, des attaques précises et des contrastes concis. Du champagne, pas de l'alcool fort ! C'est le charme rossinien : tout le monde joue tout le temps, mais les règles demandent l'habileté la plus extrême.
Tout est ici parfaitement équilibré entre les voix et les musiciens pour faire glisser la verve mélodique d'un pupitre à l'autre. Dans les récitatifs, le pianoforte exceptionnel de Jacopo Raffaele se révèle aussi raffiné qu’attentif.

Enfin ce premier partenariat d'Ambronay avec le Festival d'Aix-en-Provence a permis de recruter un casting véritablement homogène, comprenant sans aucun doute les futures étoiles belcantistes. Faites votre marché : Eugene Chan a l'abattage et l'éclat du baryton vedette ; Elisandra Melian fait des merveilles en jeune première qui en garde soigneusement « sous le capot » quand il s'agit d'attaquer la falaise des vocalises avec une technique accomplie, et Anthony Gregory a l'élégance du ténor léger et ductile dans la droite ligne d'un Florès.
En prime, ils se font tous une joie manifeste de jouer la comédie sous la houlette du metteur en scène Stephan Grögler. Son mérite n'est pas moins grand. Avec une planche à repasser (pour l'ouverture, irrésistible), une bonne couche de vêtements (l'entrée de Slook sous cinq épaisseurs de polaires !), un ou deux luminaires pour seuls accessoires et un solide jeu théâtral, il arrive lui aussi à traduire toute la verve rossinienne, cet esprit taquin se jouant des clichés et ne se privant pas ni d'allusions érotiques, ni d'un art mesuré des sentiments.
Un régal, qui se termine sur le mot qui aura caractérisé toute cette production : Felicità.

Luc Hernandez

« Nuits de Fourvière, » Lyon, 8 juillet.
Prochaines représentations : Festival d'Aix-en-Provence samedi 21 juillet, festival Les Estivales à Perpignan dimanche 22 juillet, Opéra de Vichy mardi 24 juillet 2012.

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Photo : Ambronay - Bertrand Pichène
 

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