Située dans une warehouse abandonnée, La Bohème selon la Britannique Orpha Phelan s’inspire des années 40 et du cinéma réaliste. Rodolfo pratique la machine à écrire et ses trois acolytes vivotent au sein d’une fratrie intemporelle. Le décor est progressivement mangé par la rouille dont le sang ferrugineux dominera la mort de Mimi. La fête chez Momus prend l’allure du cabaret de l’Ange bleu avec une Musetta pareille à l’icône Marlène Dietrich. La Russe Julia Muzychenko accomplit une belle prestation malgré un timbre un peu acide. Impressionnant deuxième tableau où la maîtrise d’enfants du Chœur Opéra Junior étincelle aux côtés des choristes de l’Opéra de Montpellier, sans oublier l’intrusion d’une banda pétaradante. La virtuosité est ici du côté du chef qui doit établir une impeccable mise en place.

© Marc Ginot
 
On y attendait le jeune américain Roderick Cox qui a tant marqué le Rigoletto radical de Marie-Ève Signeyrole ici même, il y a deux ans.(1) Désormais directeur musical de l’institution languedocienne, son Puccini met en valeur les interprètes au détriment, parfois, des grandes effusions, sans doute parce qu’il privilégie une palette sonore regardant plutôt vers Ravel que chez Tchaïkovski. L’occasion de souligner de nouvelles subtilités au cœur d’une œuvre rabâchée. Le frisson nous saisit évidemment dans les dernières mesures et dans le sublime « Donde lieta uscì » du troisième tableau.

© Marc Ginot
 
Montpellier a réuni un solide cast d’où se détache le Marcello du Polonais Mikolaj Trabka. Bien que chantant parfois en force, l’incarnation est belle. Colline (Dongho Kim) et Schaunard (Dominic Sedgwick) ne sont pas en reste. La Mimi de la Polonaise Adriana Ferfecka est davantage Tosca que jeune fille maladive, mais on prend plaisir à son timbre charnu. Le ténor chinois Long Long a l’âge pour incarner un Rodolfo d’une belle intensité, au timbre solaire et à la technique solide, mais où l’émotion mérite d’être encore affûtée.
Cette Bohème bien menée, sans excès conceptuels, a su faire chavirer le cœur des Montpelliérains.
 
Vincent Borel