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La Belle au Bois Dormant par l’American Ballet Theatre, invité de l’Opéra de Paris - Une honorable tentative - Compte rendu

Une bien longue histoire que celle de ce conte de Perrault, promu « ballet des ballets » depuis que Marius Petipa l’inscrivit dans les annales de la danse classique en 1890, à Saint-Pétersbourg. Et certes, le ballet brilla, par le faste de ses décors et costumes, le brio de la chorégraphie qui laissa quelques pièces mémorables, notamment les Variations d’Aurore et le fameux Adage à la rose, et bien évidemment la somptueuse musique de Tchaïkovski. Mais l’occident ne devait le redécouvrir qu’en 1921 à Londres, dans une production énorme et grandiose que Diaghilev monta avec l’aide du maître de ballet du Mariinski, Nicolas Sergueev, en y ajoutant l’attrait des décors et costumes de Bakst, icône des Ballets russes et l’aide de Stravinski, lequel surveilla de près l’exécution musicale. Mais l’heure était passée, et le spectacle, jugé vieillot, malgré la présence en Aurore de la fabuleuse Olga Spessivtseva, fit quelques remous et ruina littéralement Diaghilev. Le Théâtre Mariinski, devenu Kirov, devait ensuite reprendre fidèlement le ballet de Petipa et c’est là que Noureev, fou de l’œuvre,  y trouva la substance de ce qui deviendrait l’une de ses productions à succès à l’Opéra de Paris, en 1989. Dans des décors d’un baroque spectaculaire et avec un faste statufié qui font de ce ballet l’un des plus pesants défilés académiques qui se puissent vivre, malgré la beauté conservée des moments phares de la chorégraphie.
 
Et voilà que le moscovite Alexeï Ratmansky, talentueux et prolixe chorégraphe réclamé partout (un splendide Psyché pour l’Opéra de Paris en 2011, a repris le flambeau, depuis que l’American Ballet, troupe au passé brillant, lui a confié la charge de chorégraphe résident en 2009. Il a donc lui aussi reçu l’appel de La Belle et tenté une étonnante reconstitution de la chorégraphie de Petipa, tout en serrant au plus près les images de la production de 1921, pour redonner au ballet un peu du charme que la chorégraphie terriblement académique, et férocement virtuose de Noureev lui avait fait perdre. Le résultat, à nos yeux, est inverse de celui escompté : d’abord parce que les danseurs de l’American ballet, troupe hétéroclite sans véritable école et donc sans style précis, n’ont pas la qualité technique et surtout la compréhension de ce langage vieux de bien plus d’un siècle, surtout si l’on veut le replonger dans son bain d’origine, ce qui n’est pas le cas d’un Lac des Cygnes, victorieux de toutes les époques dans sa sobriété, ou d’une Giselle, dont l’esprit plus que la lettre importe.

Ici, pas un fil doré, pas un rayon de soleil brodé, pas une lourde perruque ne manquent dans cette production chatoyante dont on apprécie les magnifiques costumes, aussi fidèles que possibles aux croquis de Bakst, mais les gestes des danseurs affrontant une difficile chorégraphie aux airs faussement naturels, semblent emprunts d’une sorte de mollesse gracieuse qui évoque plus ce que l’on croit savoir de Fokine que de Petipa, encore que la danse soit un moyen de mémoire bien fragile. Bref, ce que l’on apprécie dans les reconstitutions de Schéhérazade, l’Oiseau de Feu, et autres chefs d’œuvre des Ballets Russes, nés dans une époque qui se remettait en question, semble ici manquer aux lourds ensembles et aux performances graphiques de la Belle telle que la tradition a tenté de la fixer.
 

© Ula blocksage

L’idée de présenter l’American Ballet, que dirige aujourd’hui Kevin Mc Kenzie, dans cette production démodée par essence, apparaît donc comme étrange, car s’il est bien une image de marque pour cette compagnie de 90 danseurs, née en 1940 aux USA et si opposée au New York City Ballet, dévolu à l’œuvre de Balanchine, son maitre, c’est sa pluralité d’approche de styles différents, de façon à montrer aux Etats-Unis, nation sans tradition chorégraphique, un éventail de ce que la danse classique et néo-classique pouvaient offrir. Avec un bouquet d’étoiles scintillantes qui compensaient le caractère hétéroclite du train par l’éclat de sa locomotive, dont Mikhaïl Baryschnikov fut de 1980 à 1990  le prestigieux conducteur. Aujourd’hui, le phénoménal Daniil Simkin a rejoint les rangs, et la prima ballerina du jour, Isabella Boylston, jouit d’une belle réputation mais aucune des étoiles réunies pour la soirée du 8 septembre n’a paru à la hauteur de l’enjeu, ni l’Aurore de la coréenne Hee Soo, froide et appliquée, ni le Prince Désiré de Marcelo Gomes, rustique et musculeux - il est vrai qu’il n’avait pas beaucoup de variations pour mettre en valeur sa technique, son rôle étant d’une fadeur extrême -, ni la Carabosse de Nancy Raffa, si conventionnelle malgré son superbe costume. Ni encore l’Oiseau bleu de Jeffrey Cirio, battant trop bas ses entrechats. Ni surtout un corps de ballet compact dans sa mise en place et laborieux dans ses déplacements. Reste la Fée Lilas de Devon Teuscher, élégante et belle, mais là aussi sans la douceur et le charme langoureux qui devraient imprégner ce rêve féerique.
Une féerie dont le chef David La Marche n’a sans doute pas idée, tant il a desséché cette magnifique partition, la scandant comme une marche militaire, la vidant de sa douceur mélancolique et de sa poésie pour n’en garder que les coups d’éclat, avec un Orchestre de l’Opéra non concerné. A ce train, la musique de Tchaïkovski ressemblait à du Minkus.

 
Jacqueline Thuilleux
Tchaïkovski : La Belle au bois dormant (chor. A. Ratmansky, d’après Petipa) – Paris, Opéra Bastille, 8 septembre 2016.
 
Photo © Ula Blocksage / Opéra national de Paris

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