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La Belle au Bois Dormant à l’Opéra Bastille - Royales friandises - Compte-rendu

Aimez-vous les diamants ? On en a mis partout…Comme La Bayadère, cette superproduction de l’Opéra de Paris fait toujours le plein et le public, généralement accompagné de sa progéniture, admire sans réserve la somptuosité du spectacle, lequel a pour avantage - et pour inconvénient - de ne guère déclencher d’effluves émotionnelles. Le ballet de Petipa, sur la lumineuse musique de Tchaïkovski, est mythique, et son succès dans de multiples révisions ne s’est jamais démenti. Citons les productions du Marquis de Cuevas, celle du Bolchoï à ce jour, ou la plus subtile de toutes, celle de John Neumeier, où la Belle se piquait à une rose - celle de l’amour bien évidemment - le jour de ses seize ans. Même si Charles Perrault est encore très lu, allez faire comprendre à nos chères têtes blondes le symbole du fuseau, au temps du denim.

Datée de 1989, la production de Noureev, qui fit une sorte d’OPA sur les grands ballets du répertoire académique russe, a donc été sacralisée : avec d’autant plus de bonheur que visuellement, elle est splendide. Le tandem gagnant Franca Squarciapino - Ezio Frigerio, riche de sa culture palladienne et des références baroques dont Noureev se nourrissait, a donc réalisé le rêve du danseur-chorégraphe, marqué par l’horreur du vide. Tout le ballet n’est donc que profusion : de lamés, de perles, de pierreries, de tiares, de soieries, de colonnes et de drapés, pour encadrer la même profusion de pirouettes, entrechats, pas-de-poisson et autres figures majeures de la performance académique. Noyée dans cette abondance, l’histoire n’existe plus, et même s’il s’agit d’un conte enfantin, tenant en quelques mots, on a surtout le temps de lire entre les lignes combien l’écriture de Noureev est à la fois vaine et compliquée, et son sens dramatique inexistant. Alors qu’en scène, lui-même était un miracle d’intelligence et de présence !

Mais la Belle donne du travail à tout le monde, et c’est pour la troupe une bonne occasion de retravailler ses classiques. Quand il s’agit de battre l’entrechat ou de tenir le célèbre adage à la rose (lui n’a pas été modifié), le brio ou la personnalité ne suffisent pas à faire passer des techniques fatiguées. Il faut être impeccable. Tel est le cas de Myriam Ould-Braham, l’une des nombreuses élues, fine et élégante, aux équilibres sûrs et à la grâce princière. Le couple qu’elle forme avec Mathias Heymann, impressionnant de perfection dans les tours et la batterie est à garder précieusement. D’autant que Heymann, dont le défaut était d’être peu expressif, sort peu à peu de cette gangue d’immobilisme psychologique : l’étonnant est que cela se perçoive dans un rôle où il a justement peu à jouer.

Quelques perles parmi les autres danseurs et surtout, François Alu, gros succès de la soirée : pour ce nouveau premier danseur, au physique de sportif plus que de danseur, le public ne s’est pas trompé. En Oiseau bleu, il vole littéralement, et fait retrouver un instant la boutade de Nijinski : pour une bonne élévation, il suffit de rester accroché en l’air ! On a aussi apprécié, une nouvelle fois, la finesse du travail de jambes et le vif argent de Charline Giezendanner, qui n’est pas encore première danseuse. Bref, une soirée de papier doré, avec quelques vrais cadeaux, et cravachant l’ensemble, la vigueur attentive de Fayçal Karoui dans la fosse. Il faut bien cela pour que la Belle ne se rendorme une seconde fois.

Jacqueline Thuilleux

La Belle au bois dormant (ch. R. Noureev) – Paris, Opéra Bastille, 20 décembre, puis les 25, 26, 27, 28, 29 décembre 2013 et les 2, 3 et 4 janvier 2014

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