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Kotaro Fukuma en récital à Gaveau – Quand le piano raconte ...– Compte-rendu

Salle Gaveau pleine comme un œuf pour le récital de Kotaro Fukuma organisé à l’initiative de la Société des lecteurs du Monde et qui s’est soldé par un triomphe plus que mérité. A l’évidence les auditeurs ne connaissant pas encore l’artiste japonais ont été conquis. Concertclassic a plusieurs fois déjà attiré l’attention sur les qualités de celui qui, fort de son 1er Prix au Concours de Cleveland en 2003, a su… ne pas trop se presser et prendre conseil auprès des plus grands (Alicia de Larrocha, Aldo Ciccolini) pour offrir à bientôt 33 ans un jeu dont la maturité, la densité, la profonde élégance aussi, forcent l’admiration.
 
« Nun komm, der Heiden Heiland » : le célèbre prélude de choral de Bach/Busoni, recueilli, simple et sans fausse grandeur, ouvre un récital à saluer aussi pour l’intelligence de sa construction. Suit la Partita n° 2 de Bach, répertoire que l'artiste a peu abordé jusqu’à présent en concert. Dès la Sinfonia introductive, on comprend que le piano moderne assumera pleinement son potentiel expressif, sa palette de couleurs, tout en préservant la clarté de la polyphonie et la pureté de ligne : style et engagement font bon ménage dans ce BWV 826 d’une lumineuse évidence !
 
Les deux Nocturnes op. 15 ne sont pas les ouvrages du genre de Chopin (1) auxquels les pianistes s’intéressent le plus. A tort se dit-on en savourant le lyrisme frémissant et le fuligineux dramatisme qu'y cultive Fukuma. Oublié le salon ! Là, comme dans la Fantaisie Impromptu op. 66, portée par une singulière énergie vitale. Toujours, ce piano raconte, nous tient en haleine. Il n’est pas donné à tout le monde de parvenir à continûment susciter l’attente chez l’auditeur dans des pièces aussi rebattues. La Ballade n° 1 est de la même eau et, par son équilibre parfait entre le feu épique et l’héritage si prégnant encore du style brillant, montre que la virtuosité ne se déploie jamais au détriment du style.
 
Beaucoup de souvenirs de Chopin et de Liszt dans la 3ème Sonate de Scriabine ? L’interprète ne se laisse pas prendre au piège du post-romantisme-de-la-première-période-de-Scriabine. Boris de Schloezer l’a souligné, c’est dans l’Opus 23 – et la si scriabinienne tonalité de fa dièse mineur – que le Russe entame ce qu’il poursuivra avec la 4ème Sonate. Le feu, le maximalisme de l’auteur portent déjà l’Allegretto et le Presto con fuoco tels qu’on les entend ici. Si les pieds sont encore sur terre dans cette partition, les bras et le regard se tendent vers les étoiles ; Fukuma l’a compris. Puisse-t-il poursuivre l’exploration du corpus des 10 Sonates où la magnétique présence de son jeu a beaucoup à nous dire.
 
D’un chic et d’un rebond narratif exemplaires, l’Andante spianato et Grande Polonaise de Chopin conclut en beauté. Vient alors une généreuse séance de bis : un émouvant Salut d’amour d’Elgar d’abord, donné à la mémoire d’Aldo Ciccolini, maître admiré de Fukuma, puis Islamey, électrisant mais jamais débraillé, et enfin un arrangement (signé Fukuma) de la valse Je te veux de Satie. Earl Wild eût aimé ce chic et cet esprit …

Il serait temps que les responsables des orchestres parisiens s’intéressent enfin à l’un des très grands pianistes de sa génération. L’Orchestre national de Lille a pour sa part compris à quel talent l’on a affaire et reçoit Fukuma, le 13 juin prochain, dans le cadre du Lille Piano(s) Festival. Au programme, le 2ème Concerto de Bartók - rien que ça ! (2)
 
Alain Cochard
 
Paris, salle Gaveau, 31 mars 2015
 
(1) Parallèlement à ce concert parisien, un CD Chopin « Autour des Ballades » vient de sortir chez Hortus (H. 118)
(2) Kotaro Fukuma sera aussi l'invité de la journée de clôture du 42ème Festival de Sully, le 7 juin 2015 : www.festival-sully.fr
 
Photo © Takuji Shimmura

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