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Kodo Dadan au Châtelet - Quand passent les tambours - Compte-rendu

Il était une fois une association splendide de jeunes hommes libres, puissants et doués : regroupés dans l’île de Sado, au nord du Japon, ils faisaient inlassablement retentir le battement de cœur du monde, sur ces tambours appelés taïko, si importants dans la mythologie et la métaphysique japonaise. Une association fondée sur l’éthique, la gymnique et l’esthétique refondues dans une vision à la fois spectaculaire et intimiste d’un rapport très spécial avec le cosmos.
L’histoire de Kodo, on la connaît depuis que le groupe, émergence d’une multitude d’associations jouant du taïko au Japon, redonna vie à un art patrimonial en le ravivant avec des influx contemporains venus essentiellement du jazz. D’abord recentrés sur leur île, ces sortes d’acrobates-moines-musiciens commencèrent il y a une trentaine d’années à mener leurs tambours de pays en pays, laissant partout un sillage fascinant, et bouleversant le public par la virtuosité de leur battue, et la concentration qui leur permettait de relier ces vibrations en un grand arc sonore.

Guerriers d’une aventure artistique, ils l’étaient, et les revoici, toujours aussi accomplis, investis jusqu’au dernier tendon, faisant rebondir les sons, les rythmes et les énergies individuelles avec une fièvre collective inégalée. Aux extrêmes de l’épuisement, mais jamais hors d’eux, à l’inverse de la transe. Pourtant, quelque chose a changé, car stars ils sont devenus, et l’un des maîtres suprêmes du théâtre japonais, Tamasaburo Bando, les a pris sous sa coupe. Il en résulte une séance qui donne au spectaculaire ce qu’elle enlève à la descente en soi.
Disparus les bandeaux blancs traditionnels qui enserraient le front des musiciens, presque disparus les cache-sexes qui donnaient à leurs corps une sorte de pureté brute, au profit d’affreux collants argentés et de poudre brillante.
Disparue la sorte d’indifférence au regard pour mieux capter l’écoute, remplacée par un évident désir de séduction. Que le plus beau de ces huit nouveaux rockers du taïko, Kenta Nakagome, se retourne dos au public pour enlever son maillot pailleté et faire valoir sa superbe anatomie avant d’aller s’affronter au gros tambour en fond de scène, n’a certes rien de déplaisant, mais détourne de la lente descente dans un univers.

Quant aux vidéos qui démultiplient l’image des tambourinaires et permettent d’admirer leurs biceps autant que leur gestique, elles n’ont rien d’indispensable. Et ce Padam padam final, gentiment égrené sur le grantang, instrument en bambou emprunté au gamelan balinais, est-il bien nécessaire ? Mondialisme, star system, modernité, rajeunissement des effectifs? En tout cas, la souveraineté de ce groupe unique par sa puissance autant que son raffinement n’en a pas besoin. La vibration qu’il entraîne en nous demeure.

Jacqueline Thuilleux

Paris, Théâtre du Châtelet, 15 février 2012

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Photo : Takashi Okamoto
 

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