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The Knights et Bertrand Chamayou au 5ème Festival de Pâques d’Aix-en-Provence – Compte-rendu – Une intelligente liberté

Renaud Capuçon (directeur artistique) et Dominique Bluzet (directeur du Grand Théâtre de Provence et du Théâtre du jeu de paume) ont le sourire : avec une fréquentation en hausse de 2,7 % par rapport à 2016 et un public (22 000 entrées, 18 700 payantes) venu pour 27% d’Aix, 44% de PACA, 20 % de France (hors PACA) et 9% de l’étranger, la 5ème édition confirme le succès et l’ancrage du Festival de Pâques dans sa ville et sa région, tout comme son attractivité bien au-delà. Beaucoup de grands noms à l’affiche ? Certes, mais une vraie et sincère ouverture à la jeune génération et à la découverte aussi(Renaud Capuçon n’oublie pas le bel exemple du Festival de Pâques de Deauville, auquel sa carrière doit beaucoup et envers lequel il témoigne d’ailleurs d’une fidélité exemplaire) : les débuts français l’orchestre new-yorkais The Knights dans la cité provençale en apporte une belle preuve.

The Knights (Les Chevaliers) : joli nom pour une conquête ; celle de l’Europe, que la jeune formation américaine aura commencée en partant d’Aix-en-Provence (l’Elbphilharmonie de Hambourg devait suivre peu après) où une résidence lui était offerte. Fondé au début de la décennie par deux frères, Colin et Eric Jacobsen, The Knights se définit comme un « collectif [d’une vingtaine] de musiciens aventuriers qui cherchent à transformer l’expérience orchestrale et à faire tomber les barrières entre la musique et son public.» Une proclamation suivie d’effets et qui a su s’attirer la sympathie et la collaboration de grands solistes tels que Yo-Yo Ma, Gil Shaham ou, on en a eu l’exemple à Aix, l’un des pianistes français les plus demandés dans le monde : Bertrand Chamayou.

Point de démagogie misenscéno-jeuniste de la part de The Knights, mais d’abord, surtout, un état esprit – dont la position debout des musiciens est l’une des expressions – que reflètent des programmes aussi variés que cohérents. La musique classique n’a pas besoins de gadgets ; l’intelligence liberté avec laquelle les frères Jacobsen et leurs troupes la conçoivent est son meilleur atout.

Bertrand Chamayou, Eric Jacobsen (dir) & The Knighs © Caroline Doutre

Schubert, Philipp Glass et Liszt occupent une première partie dont la cohérence repose la récurrence motivique propre aux œuvres réunies. Marguerite au rouet (transcrit par Ljova Zhurbin) souligne l’homogénéité et la fluidité des cordes autant que le fruité des vents, et mène au 2ème Quatuor à cordes « Company » de Glass, hypnotique sous ces chevaleresques archets.
Bertrand Chamayou prend ensuite place au piano, pour deux pièces en solo d’abord – derrière lui, dans la pénombre, les musiciens se tiennent prêts pour la suite ... Les Jeux d’eau à la Villa d’Este et la Lugubre gondole n° 2 soulignent l’évolution et l’enrichissement d’une jeu toujours aussi fluide, mais (preuve de la formidable maturité d’un artiste de seulement 36 ans) qui se teinte désormais de couleurs de bronze - on ne le savoure que mieux dans le superbe Auditorium du Conservatoire Darius Milhaud. A peine la seconde pièce terminée, la lumière revient sur l’orchestre et tous se lancent dans Malédiction (1830-1840), première composition pour piano et orchestre (à cordes) de Liszt, que la plupart des interprètes – et des programmateurs ... –, confortablement installés dans les deux concertos, négligent totalement.

Un découvreur – et un listzien !  – de la trempe de Chamayou ne risquait pas de passer à côté d’une aussi fascinante composition. Avec la complicité d’Eric Jacobsen (par ailleurs violoncelliste) à la direction, il signe une interprétation fermement tenue, tantôt mystérieuse, tantôt incisive et brûlante, qui ne souligne que mieux les audaces de la partition éclairée qu’elle est par celles de la Lugubre gondole.

Freight and Salvage de Gabriel Kahane (1981), donné en première européenne, ouvre la seconde partie avec une plénitude lyrique et en sens de la pulsation qui lognent – avec talent – vers la pop. La versatilité stylistique des instrumentistes leur permet de passer le plus naturellement à la Symphonie n° 80 en ut mineur Hob.I:80. Exit le classicisme scrogneugneux ! Ce Haydn made by The Knights est la vie même. Menée sans chef mais avec une heureuse et souriante complicité entre tous les membres de l’orchestre, l’approche manifeste un feu, une santé, une vivacité des timbres et un esprit qui emportent l’adhésion d'un auditoire légitimement conquis, avant que Ascending Bird de Colin Jacobsen et Siamak Aghei, pièce en partie inspirée par la musique populaire iranienne, ne referme la soirée dans une enivrante transe sonore.

On n’aura passé qu’une trop courte journée au Festival de Pâques ; assez pour affirmer sans risque que les débuts français de The Knights sont l’une des grandes révélations de l'édition 2017.

Alain Cochard

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Aix-en-Provence, Auditorium du Conservatoire Darius Milhaud, 21 avril 2017

Site officiel de The Knights : www.theknightsnyc.com/

Photo © Sarah Small

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