Journal

​ Klaus Mäkelä et Leif Ove Andsnes à l’Orchestre de Paris – Subtil parcours – Compte-rendu

 
Un concert dont le déroulement a dénoté une rare intelligence de conception, même si les compositeurs accolés ne semblaient pas avoir de rapports évidents. Souvent, les programmes semblent faits de bric et de broc, avec des titres plaqués qui veulent donner un pourquoi au comment des œuvres proposées. Ici, pour ce concert de l’Orchestre de Paris avec son charismatique jeune chef Klaus Mäkelä, tout s’emboîtait et convergeait vers une fin subtile.
De la Musique funèbre maçonnique de Mozart, d’entrée de jeu, à l’Adagio de la 10e Symphonie de Mahler, si oppressant, c’était comme une descente sinon aux Enfers, mais du moins dans une profonde prise de conscience d’un devenir incertain.
 
Leif Ove Andsnes et Klaus Mäkelä © DR

Splendide mise en cause de notre condition, donc, d’emblée avec la Musique funèbre maçonnique, K.477, démarrée avec des cors qui auraient réveillé un mort, et poursuivie par le chef avec une véhémence manquant peut-être un peu de solennité mais d’une irrésistible progression. On se sentait happé, porté par cette marche hésitant entre espoir et douleur. Puis avec le 22e Concerto pour piano, K.482 de Mozart, ouverture sur un monde pas si éloigné, malgré son apparente allégresse : là, entrée en scène de Leif Ove Andsnes, dont on déplore la trop rare présence dans nos salles tant l’intensité et l’intelligence avec lesquelles il se joue des contrastes et des questionnements de Mozart fait mieux pénétrer la richesse de cette musique. Léger, brillant, certes, mais aussi tendu, intense, et laissant passer sous son air de sérénité des questions parfois brûlantes. Toute la richesse ambiguë d’un langage multiple sonnait ici, derrière cette virtuosité sans ego, cette finesse de toucher sans maniérisme, cette mesure du temps qui traçait une épure au sein des volutes de Mozart.

Klaus Mäkelä en répétition avec Thomas Larcher © DR
 
On a ensuite un peu plus pénétré dans l’angoisse existentielle avec la Symphonie n°2 « Kenotaph » (c’est tout dire) de l’Autrichien Thomas Larcher, dont l’œuvre, créée à Vienne en 2016, était donnée en création française. On sait que l’heure est passée des folies inaudibles, et ici le compositeur, hanté par les morts disparus doublement quand on ne retrouve pas leur corps, a fait ici jouer toute une palette extrêmement expressive, à coups de traits violents ou étirés en grandes plaintes. Des vents, comme surgis des sables, balaient les esquisses de mélodies, l’on ressent dans cette abondance de matériaux sonores habilement imbriqués, dont un piano préparé, des percussions lancinantes et de surprenantes interrogations des hautbois et clarinettes, entre autres, un frémissement tragique où l’on a le droit de trouver des échos de Sibelius, mais aussi de Mahler, auquel le compositeur avoue avoir fait allusion. Le tout baignant dans une tendresse désolée, comme une cathédrale engloutie.
 
Mahler, justement avec cette si fameuse et étrangement ouverte sur l’infini 10e Symphonie, qu’il esquissa, et dont l’Adagio, popularisé notamment par l’interprétation d’Abbado, est toujours un grand moment émotionnel tant il sonne comme un chant du cygne. Les cordes de l’Orchestre ont ici vibré avec une sensibilité bouleversante, et l’on avait en mémoire, ou du moins on aurait dû, les paroles de Schoenberg considérant que « celui qui s’essaie à aller au-delà d’une 9Symphonie doit quitter ce bas monde », car il se trouve  « déjà trop près de l’au-delà » (1) Un testament, dont on admire que Klaus Mäkelä, malgré sa jeunesse souvent exubérante et la vivacité de sa direction, ait pu faire prendre la mesure.
 

Jacqueline Thuilleux

 

(1) Cité par Philippe Chamouard dans son magnifique Gustav Mahler tel qu’en lui-même - Méridiens - Klincksieck

 
Paris, Philharmonie, 16 mars 2022.
 
Photo © DR

Partager par emailImprimer

Derniers articles