Journal

Judith Jáuregui – Un lumineux enthousiasme

La sortie il y a quelques mois d’un récital live en hommage à Claude Debussy (1) avait retenu notre attention. On a profité d’un passage de Judith Jáuregui (photo) à Paris, à la fin du mois d’octobre dernier, pour faire la connaissance d’une artiste au tempérament lumineux. Simplicité, contact très direct : la pianiste espagnole montre le même naturel dans les rapport humains que face à son clavier.

La musique et le concert font il est vrai partie de son existence depuis son enfance. Grâce à Laurentino Gómez, son tout premier professeur à Saint-Sébastien (sa ville natale), J. Jáuregui a été très tôt en contact avec la scène. Si « tous ses professeurs ont été importants », comme le souligne celle qui a poursuivi son cursus auprès de Cristina Navajas –  une musicienne formée à Paris –, deux noms se détachent toutefois. Celui d'un compatriote d’abord : Claudio Martínez Mehner.
 

« Je l’ai connu quand j’avais 16 ans, se souvient-elle. C’est un pédagogue exceptionnel et un personnage d’une culture incroyable – il parle une dizaine de langues ». Son sens analytique, sa maîtrise de la forme, sa façon d’exploiter l’énergie de la phrase musicale vont beaucoup marquer une élève qui était sans doute un peu trop jeune encore pour tirer immédiatement tout le profit de ses conseils. Il aura en tout cas beaucoup semé pour l’avenir et considérablement aidé la pianiste à forger sa personnalité.

Mais la rencontre la plus décisive attend J. Jáuregui, à Münich. A 18 ans, elle prend le chemin de la capitale bavaroise pour travailler avec Vadim Suchanov, un ancien élève de Lev Oborin – et une forte personnalité ! Quatre ans durant elle sera son élève au Conservatoire Richard Strauss - qui a depuis été intégré à la Hochschule für Musik und Theater München (2). Des leçons à la russe, de plusieurs heures souvent ... « J’étais un volcan émotionnel lorsque je suis entrée dans sa classe, se souvient-elle ; il m’a appris à canaliser mes sentiments, à travailler, à identifier les problèmes que l’on peut rencontrer dans l’exploration d’une œuvre. Il insistait beaucoup sur la sonorité. Il y avait deux pianos dans sa classe dont un très médiocre dont il se servait pendant le cours. Mais dès qu’il posait les mains dessus, il en tirait des sonorités extraordinaires ...  Il avait un sacré caractère ; il m’a aidée à forger le mien, en respectant ma personnalité. Je lui en serai éternellement reconnaissante. »

La musique russe, dont Scriabine, est très présente dans les cours mais aussi Schumann, Schubert, Debussy, Beethoven, Haydn ; la fréquentation de ces auteurs essentiels marque profondément une interprète dont le répertoire est aujourd’hui dominé par le XIXe siècle et le début du XXe siècle – « une époque à laquelle j’aurais aimé vivre, confie-t-elle ».
J. Jáuregui ne néglige pas non plus le répertoire espagnol ; ces Albéniz, Granados, Falla qui figuraient au programme d’un beau disque en hommage à Alicia de Larrocha (« Para Alicia », BerliMusic) enregistré il y a quelques années.
 

© www.judithjauregui.com

Si Falla et Mompou comptent d’ailleurs parmi les auteurs au programme des récitals que la pianiste donne à Madrid (le 2 janvier) et à Alicante (le 14 janvier), le début 2020 présente toutefois un caractère germanique assez affirmé : le 1er Concerto de Brahms l’attend en effet durant une tournée allemande (9, 12 et 24 janvier) et, dès le mois de février, elle est au rendez-vous de l’année Beethoven prenant part au cycle « Beethoven Actual » (3) que le Cercle des Beaux-Arts de Madrid a lancé en octobre au théâtre Fernando de Rojas. Il consiste en une intégrale des 32 Sonates réparties entre neuf pianistes, chacun étant chargé de trois, quatre ou cinq d’entre elles, mises en regard de quelques études de Ligeti et de pièces contemporaines (Alfonso, Greco, Llorca, Marco, Guinovart, Rueda). Après Daniel del Pino, Gustavo Díaz-Jerez, Eduardo Fernández, la série se poursuit jusqu’en juin avec Javier Negrín (27 janv.), Judith Jáuregui (17 fév.), Alba Ventura (16 mars), Mario Prisuelos (6 avr.), Noelia Rodiles (15 mai) et Miguel Ituarte (1er juin).
J. Jáuregui a pour sa part retenu les Sonates nos 2, 4, 15 et 25, qu’elle jouera parallèlement aux Etudes nos 11 et 12 du Hongrois et à Study in Strike (en création madrilène) de José Luis Greco, un auteur né en 1953 à New York dont le langage, très marqué par le jazz, séduit tout particulièrement notre pianiste.

Quant au disque, J. Jáuregui vient de mettre en boîte le Concerto en la mineur de Schumann avec l’Orquestra Simfònica Camera Musicae, jeune formation catalane fondée en 2006 au côté de laquelle elle a déjà plusieurs fois joué. Belle découverte en perspective et retour à un compositeur fétiche ; avec lui elle signait son tout premier disque il y a une décennie tout juste.(4)

Alain Cochard
(Entretien avec Judith Jáuregui réalisé le 29 octobre 2019)

(1)    « Pour le tombeau de Claude Debussy » ; œuvres de Falla, Debussy, Chopin, Liszt, Mompou ( 1CD ARS Produktion, enrgt Vienne 2018)
(2)     En 2008
(3) www.circulobellasartes.com/espectaculos/beethoven-actual/
(4) 1CD Columna Musica

Site de Judith Jáuregui : www.judithjauregui.com/

Photo © www.judithjauregui.com

Partager par emailImprimer

Derniers articles