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Jörg Ehrenfeuchter aux Musicales internationales de Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts – Cavaillé-Coll et le répertoire allemand – Compte-rendu

Les mélomanes savent combien la programmation musicale de Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts, sous la gouverne d’Éric Lebrun, titulaire du Cavaillé-Coll/Merklin de 1894/1909 (1), offre au fil des ans son lot de découvertes, qu’il s’agisse de répertoires ou d’interprètes. C’est ainsi que six dimanches de suite, répartis sur janvier et février, Les musicales internationales de Saint-Antoine ont permis d’entendre Andrea Toschi (Italie – Debussy, Capocci, Tebaldini), Michelle Guyard (Corelli, Bach, Litaize, Dupré), Éric Lebrun (Bach, Ropartz, J. Alain et Lebrun lui-même : Au jardin des poètes op. 43 en création, œuvre parue aux Éditions Chanteloup, CMP043, 2), Eugeniusz Wawrzyniak (Pologne – Guilmant, Mendelssohn, Chopin, Borowski), Édouard Oganessian (Wagner/Liszt, Reubke).
 
À la demande d’Éric Lebrun, le programme de Jörg Ehrenfeuchter (photo) – l’avant-dernier concert, le 3 février – était dédié au romantisme allemand et à son adaptation à la facture Cavaillé-Coll, sensiblement différente de l’esthétique allemande de même époque mais servant avec bonheur la musique romantique et symphonique d’outre-Rhin. C’est en fait toujours la qualité et l’individualité de la facture d’un instrument qui permettent au musicien de trouver la réponse instrumentale et interprétative adéquate, quelle que soit, ou peu s’en faut, l’esthétique de l’œuvre. Professeur à la Musikhochschule de Hanovre, Jörg Ehrenfeuchter est l’archétype du Kantor allemand, à la fois solide organiste et maître de chœur. Il est titulaire de l’instrument érigé en 1845 par Johann Andreas Engelhardt en l'église neuve de Herzberg (Basse-Saxe), où chaque année depuis 1985 a lieu l’Internationaler Herzberger Orgelsommer. À mi-chemin entre Hanovre et Erfurt ou Gotha, non loin de Goslar, terre d’orgues historiques de premier plan, on est ici presque au pays de Bach. C’est sur cet orgue de Herzberg, digne hériter de la facture baroque et déjà à maints égards romantique, que Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun ont gravé leur remarquable Art de la Fugue de Bach (3).

© Mirou
 
Suivi de compositeurs se référant tous à son œuvre et à sa personne, Bach ne pouvait qu’ouvrir le récital : Prélude et Fugue en ut majeur BWV 547, rattaché à la période de Noël avec son noble et joyeux carillonnement, pleins-jeux et anches répondant avec superbe, à leur manière, à l’esthétique de cette page aussi monumentale que dynamique. Un premier Choral du Brahms de la toute-fin (Opus 122) s’ensuivit : Herzlich tut mich erfreuen, complété du célèbre Herzlich tut mich verlangen – les fonds (autant que les anches de détail) sont les serviteurs tout désignés d’une telle musique, lyrique et prenante, romantiquement spirituelle et atemporelle. Entre ces deux Chorals vinrent s’insérer les Quatre Esquisses pour piano-pédalier op. 58 de Schumann, Jörg Ehrenfeuchter y mettant en valeur l’une des qualités, immédiatement sensibles, de cet instrument qui fut d’abord un instrument de (grand !) salon : la proximité du timbre, ses facultés chambristes. Virtuose élégant, sans tapage mais avec un goût sobre et lumineux des timbres, il fit sonner Schumann en organiste et pianiste, vif et léger dans les pièces les plus aériennes de toucher. C’est avec la Sonate n°4 op. 65 de Mendelssohn, l’une des plus prisées, que ce récital se refermait, conservant dans les pages intimistes médianes le caractère de l’orgue de salon, retrouvant dans les mouvements externes la grandeur de l’orgue d’église et son « acoustique à effet de loupe » – celle de Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts ayant précisément l’avantage de n’être pas réverbérée à l’excès, bel et bien entre église et salon : l’orgue idéal, en définitive, pour un tel programme, joliment pensée et parfaitement restitué.
 
La saison musicale se poursuivra fin mars avec la 10ème édition du Printemps de l’orgue à Saint-Antoine, une exposition – Résonance, de Zélie Belcour (vernissage le vendredi 29 mars à 20 h) – accompagnant la programmation musicale : Hommages à Michel Chapuis, André Isoir et Jean Boyer par la soprano Françoise Masset et Georges Guillard à l’orgue (ce même 29 mars en soirée) ; visite de l’orgue et de l’église le lendemain à 15 h, suivie à 20 h 30 d’un concert d’Isabelle Sebah intitulé Variations Sérieuses et Fantaisies romantiques. Isabelle Fremau (soprano), Clara Izambert (harpe), Marie-Ange Leurent et Éric Lebrun (orgue) refermeront ce Printemps de l’orgue le dimanche 31 mars à 16 h : Mille ans d’Ave Maria, du grégorien à Jehan Alain, via Schubert, Franck et Saint-Saëns.
 
Michel Roubinet

Paris, église Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts, 3 février 2019

(1) www.ericlebrun.com/l-orgue-cavaillé-coll-de-saint-antoine-des-quinze-vingts/
 
(2) On peut entendre en ligne ce cycle inspiré de textes et de poèmes signés Verlaine, Apollinaire, Rimbaud, Éluard, La Fontaine, Andersen, Desnos, créé le 20 janvier mais enregistré dès le 17 décembre par le compositeur : www.youtube.com/watch?v=mbBX_p_1wH8
 
(3) www.concertclassic.com/article/bach-par-marie-ange-leurent-et-eric-lebrun
     www.concertclassic.com/article/lart-de-la-fugue-quatre-mains-par-marie-ange-leurent-et-eric-lebrun-en-preambule-au-7eme

Photo © DR

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