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Jonathon Heyward et l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine aux Estivales de musique en Médoc 2023 – C’est l’Amérique ! – Compte-rendu

 
Jacques Hubert, fondateur et directeur des Estivales de musique en Médoc a le sourire – un pincement d’émotion aussi – ce 12 juillet en parcourant du regard les fauteuils d’un auditorium de Bordeaux plein à craquer jusqu’aux dernières places du paradis. Le festival aquitain –  dont le principe est d’inviter uniquement des lauréats de grands concours internationaux – fête ses 20 ans, mais aussi une décennie de collaboration avec l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, au rendez-vous à chaque édition pour le concert de clôture.
 

Kotaro Fukuma © Stéphane Delavoye
 
Celui de cette année est dirigé par le chef américain Jonathon Heyward (photo), vainqueur en 2015, à 23 ans, du 54Concours de jeunes chefs d’orchestre de Besançon, que les Estivales avaient déjà invité en 2018 et que l’on retrouve avec bonheur dans un programme tout entier sous le signe de l’Amérique. Avec les trois Dances in the Canebrakes de Florence Price (1887-1953), tardive réalisation pour piano (1953) orchestrée par William Grant Still, il donne d’emblée la mesure de son art. Sa gestuelle (sans baguette), point orthodoxe mais souple, libre et extrêmement chorégraphique et suggestive (bien aidée par l’expressivité du visage), marie un sens rythmique infaillible à un exceptionnel art de la couleur (pure merveille que le n° 2, poétique et rêveur.) Le triptyque de Price mérite vraiment de trouver sa place au répertoire !
 
De la couleur, du rythme, il en faut tout autant s’agissant du Concerto en fa de Gershwin, dans lequel Heyward peut compter sur la présence de Kotaro Fukuma au clavier. Près d’un mois après son triomphal récital parisien (1), et juste avant de s’envoler vers son Tokyo natal qui l’attend en fin de mois pour le Concerto no 3 de Rachmaninoff, l’artiste japonais dévoile une nouvelle facette de son art avec un ouvrage dans lequel il se meut tel un poisson dans l’eau, porté par la tonique direction de Heyward, un rien trop peut-être même dans le premier mouvement. Mieux vaut cela qu’un excès de tiédeur ; l’envie de se donner pleinement que le jeune chef étatsunien suscite chez les musiciens bordelais fait plaisir à entendre – et à voir ! – et l’entente avec un soliste d’une telle classe permet de souligner le caractère d’un ouvrage sans doute marqué par l’influence du jazz mais qui regarde d’abord vers les grands concertos russes (Rachmaninoff en particulier). Dimension symphonique qui ressort on ne peut mieux ici. Longue ovation et Elégie op. 3/1 de Rachmaninoff (2) en bis.
 

© Stéphane Delavoye
 
Place à la Symphonie « du Nouveau Monde » de Dvořák en seconde partie ; œuvre archi-rebattue s’il en est ... Ce que Heyward parvient à y offrir avec la totale implication de l’ONBA s’avère d’autant plus admirable. Vivant mais nullement précipité, le premier mouvement respire large et prend des accents d’épopée. Le cor anglais d’Isabelle Desbast fait merveille dans un Largo au cours duquel Heyward distille les timbres du bout des doigts avec une science incroyable. La musique semble naître sous sa battue inspirante, tout comme le Scherzo, dansant à souhait, et un finale ardent, jamais bruyant (bravo aux cors ! ), narratif et inspiré.
Quelle plus belle chose souhaiter à des musiciens d’orchestre qu’un chef – et un pianiste – d’un tel talent pour leur dernier concert avant le départ à la retraite ? Carole Mérino (1er violon tuttiste depuis 1981) et Michaël Lavker (2violon tuttiste depuis 1984) auront eu cette chance.

Avec son entrée en fonction à la rentrée comme directeur musical de l’Orchestre symphonique de Baltimore, Jonathon Heyward va dorénavant être très occupé outre-Atlantique ... On espère le revoir vite en France !    
 
Alain Cochard
 

 
Bordeaux, Auditorium, 12 juillet 2023 // www.estivales-musique-medoc.com/#
 
(1) www.concertclassic.com/article/kotaro-fukuma-en-recital-la-salle-cortot-engagement-total-compte-rendu
 
(2)  Pièce tirée de 5 Morceaux de fantaisie que l’on trouve dans le nouvel enregistrement de Kotaro Fukuma sorti il y a peu chez Naxos (« Fantasy » ; Scriabine/Rachmaninoff,  Naxos NYCC - 27314)

© Laura Thiesbrummel

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