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Jonas Kaufmann en récital - Moment de grâce - Compte-rendu

Jonas Kaufmann poursuit avec une régularité de métronome son inéluctable ascension vers le Panthéon des ténors. Aussi à l'aise sur les planches où il donne vie à d’idéales et très différentes figures de héros, qu'il semble réinventer à l'envi, de Werther à Siegmund, en passant par Faust, Cavaradossi, Don José ou Florestan, en attendant Enée qu'il réserve aux Londoniens, qu'en concert, ou en récital, toujours prêt à partager avec le public sa passion pour la mélodie, Kaufmann est un artiste complet, un exceptionnel touche à tout. Ceux qui avaient assisté à son premier récital parisien au Palais Garnier en novembre 2008 ont pu mesurer, lors d’un récital de la série « Les Grandes Voix », combien l'impact de son anthologique Werther filmé par Benoît Jacquot avait été déterminant, une salle comble étant rassemblée pour applaudir une idole devenue incontestable.

Fidèle à Liszt dont il avait donné en 2008 d'inoubliables Sonnets de Pétrarque, Jonas Kaufmann a sélectionné des lieder sur des poèmes de Heine, Goethe, Kuh et Lenau abordés comme toujours avec un sens du drame et de l’évocation proprement éblouissants, entraînant l'auditeur sur des chemins arides, sans craindre la dépression du Roi de Thulé (Es war ein König in Thule), ou l'étrange rencontre de trois tziganes étendus sous un saule (Die drei Zigeuner), pièce dans laquelle Schwarzkopf ne craignait pas de déformer sa voix jusqu'à la laideur.

Puis ce fut le tour des Rückert-Lieder, restitués dans toute leur ferveur et leur dépouillement. Grave ou exalté, fragile ou déterminé, Kaufmann les a phrasés sur le souffle, nuancés à l'infini avec cette manière unique d’étirer les notes, même les plus aiguës, jusqu’à les faire flotter sans qu'elles ne retombent : dans sa bouche Ich bin der Welt abhanden gekommen semblait entre ciel et terre, pur instant de lévitation.

Après être allé jusqu'au bout du romantisme avec l'assentiment d'Helmut Deutsch, pianiste de haut vol, le ténor allemand passait avec la même sensibilité à Duparc, sublimant de sa voix d'ombre et de lumière, au magnétisme rare, les vers de Baudelaire (somptueuses Invitation au voyage et Vie antérieure), mais également Leconte de Lisle (voluptueuse Phydilé), de Bonnières et Lahor, déclamés dans un français incomparable.

Les lieder de Strauss étaient tout aussi accomplis en termes de fini vocal, de style et de pénétration psychologique : du voisin sarcastique prestement dépeint par Heine (Schlechtes Wetter) aux adieux déchirants de Befreit, des silences lourds de sens de Morgen aux glorieux émois provoqués par Cäcilie, l'artiste à la fois proche de Vickers, pour le métal, et de Wunderlich, pour la morbidezza, s'est livré sans réserve pour notre plus grand plaisir.

Pour couronner ce moment de grâce, Jonas Kaufmann, dans une forme vocale éblouissante, est revenu à cinq reprises d'abord avec Strauss, se risquant aux impalpables piani du Freundliche Vision et au messa di voce du célèbre Zueignung, avant de s'attaquer à l'un de ses bis préférés, l’envoûtant « Dein ist mein ganzes Herz » extrait de Das Land des lächelns de Lehar. Unique !

François Lesueur

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 20 février 2012

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Photo : DR
 

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