Journal

Jean-Luc Thellin en concert à la Madeleine – Bach et Franck, alpha et oméga – Compte-rendu

 
En cette année du bicentenaire de la naissance de César Franck, son œuvre d'orgue aura été largement et heureusement fêtée, bien que sans en avoir vraiment besoin : elle a toujours été l'un des justes piliers du répertoire, du moins les « Douze Pièces » – parfois l'Andantino en sol mineur ou quelque grand Offertoire. Ainsi Jean-Luc Thellin (photo), natif de Liège comme Franck, a-t-il célébré son concitoyen à maintes reprises cette année, concerts faisant écho, tel celui donné à la Madeleine, à la parution de son intégrale Franck (By Classique). Initialement prévu en septembre, ce concert avait dû être reporté en raison de l'état du Cavaillé-Coll, éprouvé par l'été 2022, comme tant d'autres orgues, mais étonnamment « remis » en ce dimanche de novembre, sonore et d'une stabilité retrouvée.
 

 
Professeur (entre autres) au Conservatoire de Chartres, où il vient d'être nommé titulaire du grand orgue de la cathédrale – Patrick Delabre a pris sa retraite après 46 années de bons et loyaux services et suivra de près, en tant qu'organiste émérite, la reconstruction totale de la partie instrumentale dans l'extraordinaire buffet historique (1) –, Jean-Luc Thellin avait choisi de faire entendre les deux compositeurs sur lesquels il se concentre depuis quelques années : Bach et Franck. Du premier, dont il a entrepris en 2018 l'enregistrement intégral de l'œuvre d'orgue (2), il proposa la Toccata, Adagio et Fugue BWV 564, grand triptyque de jeunesse, ici prodige d'adaptation tant à l'esthétique de l'instrument touché (avec entre Adagio et Fugue un basculement en forme de transition quasi romantique – pourtant sans rupture avec l'esprit de Bach – avant de renouer avec une articulation « baroque » et dynamique dans la Fugue) qu'à l'acoustique du lieu : celle de la Madeleine, immense caverne sonore, est particulièrement difficile à manier. Avec à la clé une absolue clarté (à condition de ne pas se placer trop loin de la tribune – confusion assurée au pied du chœur) nourrie d'une attention extrême portée aux tempos, savamment évalués et servant la musique de façon magistrale.
 

© Rozenn Douerin
 
À cet égard, Jean-Luc Thellin est presque à contre-courant de ce que l'on entend si souvent : l'indéniable vivacité de son jeu s'accomode volontiers de tempos d'une riche ampleur – rien à voir avec une quelconque lenteur !, ainsi que les minutages pourraient, de manière erronée, le laisser supposer : de fait, son intégrale des « Douze Pièces », à l'orgue Cavaillé-Coll de Bécon-Courbevoie (3), est répartie non pas sur deux mais trois CD. Un point d'orgue est un point d'orgue, et leur rôle dans l'éloquence musicale de Franck, chez lequel ils abondent, est ici essentiel, reflet de la respiration du musicien, de son souffle généreux et mouvant, sans rien d'immuablement prévisible, sans velléité non plus d'affirmer une interprétation forcée du texte. On en eut pour preuve le Choral n°3, l'interprète semblant un rien plus « rapide » sur le vif qu'au disque : deux contextes de transmission de la musique foncièrement différents. À la fougue indissociable de cette œuvre ultime répondait une vraie maîtrise de l'écoulement et plus encore de l'étagement du temps – ainsi ces grands accords déployés à la manière d'un éventail sonore qui font jouer et resplendir la richesse harmonique de Franck, tout aussi sensible dans les moments de lyrisme, telle la section médiane.
 
Le Franck de Jean-Luc Thellin propose un quatrième CD consacré à la transcription pour orgue seul de deux grandes œuvres avec/pour orchestre : les Variations symphoniques (Jörg Abbing, 2009) et la Symphonie en mineur (Heinrich Walther, 1987), que le musicien a gravées à l'orgue Schyven de la Salle Philharmonique de Liège – où il proposait, le 23 octobre dernier, l'intégrale Franck en un même après-midi ! (4) Les Variations étaient au programme de la Madeleine : un défi, on s'en doute, subtilement relevé et parfaitement recevable dès lors que l'auditeur intègre l'idée du changement de destination instrumentale. C'est bel et bien la musique de Franck, pas ses timbre d'origine ni leur manière de parler. Inutile de chercher à l'orgue la percussion du piano dans ces Variations, cependant que l'orchestre est somptueusement évoqué (son irruption cinglante dans le finale de la Symphonie est, au disque, plus que convaincante). On imagine le bonheur de réunir ainsi sous ses doigts et pieds tout ce qu'il faut pour faire vivre une œuvre aussi complexe et inépuisable que les Variations symphoniques, véritablement restituées telle une œuvre d'orgue. L'avant-dernière variation, longue page sublimement suspendue, fut un pur moment de grâce, et ce même si le caractère initialement bondissant du finale sonnait ensuite autrement à l'orgue. Viable, assurément, pour le plus grand plaisir des mélomanes.
 
Michel Roubinet
 

Paris, église de la Madeleine, 13 novembre 2022
 
Les Dimanches Musicaux de La Madeleine
www.concerts-lamadeleine.com/index.php?action=fiche&num=387
 
Prochain concert (suite du bicentenaire de la naissance de César Franck / concert commémoratif de l'armistice du 11 novembre 1918) : dimanche 27 novembre à 15 h 30, avec l'Orchestre d'Harmonie des Gardiens de la Paix de la Préfecture de Police ; Chloé Jacob, soprano ; Olivier Périn, orgue ; Gildas Harnois, direction.
www.concerts-lamadeleine.com/index.php?action=fiche&num=383

 
Jean-Luc Thellin

www.jeanlucthellin.com
 
(1www.orgue-en-france.org/cathedrale-notre-dame-de-chartres-clap-de-fin-pour-le-grand-orgue-avant-reconstruction/
 
(2) Intégrale Bach en cours et intégrale Franck
www.jeanlucthellin.com/projets
 
(3www.concertclassic.com/article/thomas-monnet-interprete-jean-alain-le-cavaille-coll-de-becon-reinvente-aux-couleurs-de

(4) www.oprl.be/fr/actualit%C3%A9s/orgue-jean-luc-thellin-linterview

 

Photo © Rozenn Douerin

Partager par emailImprimer

Derniers articles