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« Je ne pourrais pas m’arrêter de diriger de jeunes artistes » - Une interview de Seiji Ozawa


Le 6 juillet, salle Gaveau, Seiji Ozawa, l’un des chefs préférés des Français, fera son retour à Paris à la tête des jeunes de la Seiji Ozawa International Academy Switzerland après une trop longue absence en raison d’une grave opération suivie d’une autre intervention en début d’année à la colonne vertébrale, vieille histoire dont il souffrait depuis longtemps ; en fait depuis 1978 lorsqu’il avait du renoncer à diriger Boris Godounov au Palais Garnier.

Si ses médecins exigent qu’il reprenne son activité avec prudence, le chef japonais porte allègrement ses 75 ans, l’œil pétillant et l’allure toujours aussi juvénile. Il a même tenu à rester debout pour la conférence de presse qu’il a donnée à l’Ambassade suisse à Paris. Il s’agissait d’annoncer la session 2011 de l’Académie qu’il dirige depuis 2005. Il passe ainsi une douzaine de jours à Rolle en Suisse avec les quatre professeurs et la vingtaine de stagiaires avant de diriger trois concerts à Rolle, au Victoria Hall de Genève et à Paris. Ce seront ses seules apparitions en Europe cette année. L’occasion d’évoquer son avenir musical.

Vous faites beaucoup jouer ces jeunes musiciens en quatuor à cordes et pas seulement en formation orchestrale : pourquoi ?

Seiji Ozawa : C’est une vieille histoire. Cela vaut du reste autant pour les futurs virtuoses internationaux que pour ceux qui intègreront un orchestre. J’ai remarqué que les plus grands génies de la musique, de Haydn à Chostakovitch, de Mozart à Ravel, de Beethoven à Mendelssohn, avaient composé des quatuors. C’est non seulement la quintessence de la tradition de la musique occidentale, mais aussi l’expression du style de chaque compositeur et, à ce titre, une école d’interprétation indispensable. Il y a encore une raison plus pédagogique pour pratiquer l’exercice du quatuor : c’est qu’il apprend à ces jeunes pur-sang à sortir d’eux-mêmes en s’écoutant les uns les autres, donc à prendre conscience qu’on ne fait pas de la musique tout seul, mais toujours avec d’autres, qu’on soit soliste d’un concerto de Mozart, de Brahms, de Mendelssohn, ou simple membre d’un orchestre, qui devra être en permanence à l’écoute du soliste comme des autres pupitres.

Il y a longtemps que j’en suis venu à cette conclusion, mais réussir à bien encadrer la pratique du quatuor coûte si cher que je n’avais pas réussi jusqu’à présent à réunir les fonds : j’ai trouvé les conditions nécessaires en Suisse. Résultat : nos jeunes font du quatuor toute la journée et je les dirige en orchestre le soir. Vous n’imaginez pas les progrès que ce type de stages intensifs de 10-12 jours induit inconsciemment chez les musiciens ! C’est autant psychologique, affectif que purement musical. On le mesure l’année suivante chez ceux qui reviennent en stage à l’Académie.

Que vous apporte le fait de diriger des jeunes ?

S. O. : Comme on dirige très différemment des instrumentistes aguerris et des apprentis musiciens, j’apprends beaucoup avec eux, car on doit sans cesse s’interroger, se remettre en question. Et cela influence tout mon travail avec les formations d’adultes. Et puis, cela fonctionne comme une drogue : je ne pourrais pas m’arrêter de diriger des jeunes artistes.

Certes. Mais ne croyez-vous pas que le maestro que vous êtes devenu rembourse ainsi la dette que vous avez toujours revendiquée envers vos principaux maîtres, Hideo Saito au Japon, Charles Munch à Besançon et à Boston, Leonard Bernstein à New York et Karajan à Berlin et à Salzbourg ?

S. O. : Je leur dois tout ! Saito avec qui j’ai commencé à travailler dès 16 ans, ne cessait de nous répéter : « apprenez d’abord les bases techniques de la musique occidentale, la théorie, l’harmonie. Ce n’est qu’après cela que vous pourrez aller parfaire votre formation en Occident et que vous serez en mesure d’en profiter efficacement. »
C’est ce que j’ai fait à 24 ans, en 1959, quand j’ai quitté Tokyo avec mon scooter pour Marseille.

Racontez-nous…

S. O. : J’ai gagné la capitale par la Nationale 7 en scooter et j’ai roulé jusqu’à l’Arc de triomphe, car c’était tout ce que je connaissais de Paris ! J’ai tourné à n’en plus finir car j’étais incapable de sortir du flot des voitures ! J’ai fini par stopper sur le terre plein central… A mon arrivée, à part le piano, je ne savais rien en musique non plus : je n’avais jamais vu ni entendu un seul opéra ni imaginé un grand orchestre symphonique. Pourtant, je suis remonté sur mon scooter et suis allé passer le Concours des Jeunes chefs d’orchestre à Besançon où je suis arrivé en retard ! Charles Munch qui présidait ne m’en a pas tenu rigueur car je venais de loin … d’encore plus loin qu’il ne l’imaginait ! Et il m’a emmené avec lui à Boston et à Tanglewood. C’est là que j’ai complété mes classes et pu connaître Bernstein et Karajan dont je devins plus tard l’assistant. Alors oui, peut-être que leur élève infiniment reconnaissant rembourse sa dette. Mais ça n’est pas une corvée !

Avez-vous conservé toutes vos activités musicales au Japon ?

S. O. : Oui : outre l’Orchestre Saito Kinen pour le Festival de Matsumoto (1) en septembre dans la montagne, je dirige depuis 2000 une académie pour une trentaine de jeunes musiciens.

A quand et où votre prochain opéra ?

S. O. : La Dame de Pique de Tchaïkovski à l’Opéra de Vienne l’an prochain.

Allez-vous poursuivre votre collaboration entre le Festival de Matsumoto et la France ?

S. O. : Oui. Je prépare pour l’automne 2012 une Jeanne au bûcher d’Honegger avec notamment Isabelle von Karajan et Lambert Wilson à Matsumoto, un spectacle que je donnerai dès l’année suivante à Paris avec l’Orchestre National et à Berlin avec le Philharmonique.

Pourquoi Jeanne au bûcher ?

S. O. : En souvenir d’Herbert von Karajan qui, déjà malade, m’avait demandé de la diriger à sa place au Festival de Salzbourg avec Paul-Emile Deiber, le mari de Christa Ludwig, Au Japon, je prévois aussi Bohème, Cosi, Falstaff et La Chauve-souris.

Propos recueillis par Jacques Doucelin, le 23 juin 2011

Site du Festival de Masumoto : www.saito-kinen.com/e

Seiji Osawa International Academy Switzerland

(Œuvres de Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Smetana, Janacek, Ravel, Mendelssohn)

6 juillet 2011 – 20h

Paris – Salle Gaveau

www.sallegaveau.com

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Photo : Shintaro Shiratori

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