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Jakob Lenz de Wolfgang Rihm par Le Balcon au théâtre de l’Athénée – Dans la nuit du poète – Compte-rendu

Depuis une décennie, Le Balcon apporte une bienfaisante bouffée d’oxygène au paysage musical : avec un regard neuf, un enthousiasme réjouissant, le collectif mené par Maxime Pascal ose, se lance d’incroyables défis ... et les relève avec un talent, une sincérité – mot dont il faut certes se méfier dans le domaine de la critique, mais qui s’impose indubitablement ici – et une absence de pédanterie (si souvent chère à la modernité et aux « moderneux » ...) qui emportent l'adhésion.

Après l’entreprise folle, et le résultat époustouflant, de Donnerstag aus Licht de Stockhausen au Comique en novembre dernier, début d’une – encore plus folle ! – intégrale de Licht, Le Balcon est de retour dans son « berceau » de l’Athénée avec l’opéra de chambre Jakob Lenz de Wolfgang Rihm, proposé en ouverture du « Festival Le Balcon » (et heureusement redonné les 22 et 29 mars). Il s’agit en fait de la reprise d’un spectacle présenté en décembre 2016 au Mozarteum de Salzbourg dans le cadre du Dialogues Festival.
Maxime Pascal et ses compères du Balcon (dont le magicien-ingénieur du son Florent Derex) ne se contentent pas d’avoir des rêves, ils les réalisent pour le bonheur du public. Des rêves dont, surtout, celui d’un art total (au sens wagnérien du terme), qui vient de trouver une nouvelle expression avec Jakob Lenz, étonnant ouvrage de jeunesse de Rihm (l'artiste n’a que 25 ans lorsqu’il livre cette partition en 1977-1978, sur un livret de M. Fröhling d’après Büchner ...). Une œuvre noire, complexe, tout sauf facile, nourrie de la psyché tourmentée, à la limite de la folie, du poète dont le destin a inspiré son Lenz à Büchner.

© Meng Phu

Reprise d’un spectacle ? « Reprise-extension » vaut-il mieux dire car, à l’Athénée, la production parvient à une admirable conjonction des paramètres – dont la projection sonore, améliorée par des progrès techniques récents – qui, d’évidence, marquera une date dans l’histoire du Balcon.
Chapeau bas à l’équipe vocale, et à Vincent Vantyghem en premier lieu. Baryton et psychiatre, il est l’homme de la situation pour traduire les souffrances, les conflits et déchirements internes du rôle-titre, avec une justesse et une intensité bouleversantes qui ne cèdent rien à la caricature – sa démarche est il est vrai confortée par les moyens mis en œuvre par Florent Derex. Il faut réussir à exister à côté d’un tel rôle et d’une telle incarnation : par-delà les qualités vocales de chacun, c’est le premier compliment qu’on adressera à Damien Pass (Oberlin, le pasteur chez qui Lenz s’est réfugié) et Michael Smallwood (Kaufmann). On n’oublie pas le chœur, parfait, ni les trois enfants (Bérénice Arru, Gaspard Cornu-Dryme et Georges Geyer), très touchants.
 

Florent Derex

Maxime Pascal © Rodrigo Ferreira

Installé dans la salle devant la scène, Maxime Pascal dirige avec autant d’acuité que de poésie un effectif instrumental atypique disposé sur la plateau  – 2 hautbois (aussi 1 cor anglais), clarinette (aussi clarinette basse), contrebasson (aussi basson), trompette [en ut], trombone, percussionniste, clavecin, 3 violoncelles. Geste ample, suggestif, précis comme toujours ; le chef modèle le son, soigne le relief comme les étonnants alliages de timbres avec une vigilance continue et apporte une remarquable fluidité dans les transitions. On gardera longtemps en mémoire la prégnante beauté de l’interlude précédant les mots par lesquels Lenz salue la « nuit consolatrice et maternelle », avec en contrepoint les images de Nieto, on va y revenir.

A la technique, Florent Derex, qui fait appel ici à la WFS (Wave Field Synthesis), parvient à une projection sonore d’une homogénéité jamais encore entendue au Balcon et offre un fantastique outil expressif à tous les protagonistes. A ceux qui diront que l’ouvrage n’a pas été conçu pour ce dispositif, on répondra seulement que la Hammerklavier n’a pas non plus été pensée pour un grand queue de concert moderne. Et pourtant ...

Terminons par Nieto (1), pièce maîtresse du Balcon, qui signe la mise en scène et la partie vidéo (ne tenez surtout pas compte des photos d’un spectacle d’une mobilité visuelle rigoureusement impossible à résumer en un cliché), non parce que son apport serait moins décisif, mais pour au contraire insister sur sa formidable compréhension de l’ouvrage et du personnage central. La vidéo ne distrait pas un instant l’auditeur de la musique et des déchirements de Lenz tant elle se confond avec eux, pour totalement plonger le spectateur dans la nuit terrible du poète. Spectacle majeur, encore deux dates : courrez-y ! Quant au « Festival Le Balcon » à l’Athénée (2) , il se prolonge jusqu’au 30 mars.

Alain Cochard

(1) Je prends le pari que, le jour où un directeur d'opéra aura l’audace de faire appel à Nieto pour un Wagner, on en parlera longtemps ...
(2) Lire l'interview de Maxime Pascal : www.concertclassic.com/article/une-interview-de-maxime-pascal-co-fondateur-du-balcon-avec-le-balcon-soit-cest-mystique-soit

Rihm : Jakob Lenz – Paris, Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 15 mars ; prochaines représentations les 22 et 29 mars 2019 // www.athenee-theatre.com/saison/spectacle/jacok_lenz.htm

Photo © Meng Phu

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