Journal

​Israël en Egypte de Haendel sous la direction d’Hervé Niquet au Festival Berlioz 2021 - Opération Tempête du Désert –Compte-rendu

Les dix plaies d’Egypte et le franchissement de la mer Rouge. Le XXe siècle en ferait un péplum hollywoodien, le XVIIIe un oratorio haendélien. Autres temps, autres mœurs. Pour son édition 2021, le Festival Berlioz de la Côte-Saint-André a choisi de présenter à quelques jours d’intervalles L’Enfance du Christ et l’une de ces œuvres « anciennes » auxquelles l’œuvre de Berlioz fut comparée à sa création : Israel in Egypt de Haendel. Oratorio étrange que celui-là, pour lequel le compositeur procéda à un collage plus ou moins réussi, reprenant en première partie un anthem écrit deux ans auparavant pour les funérailles de la reine Caroline, et y adjoignant deux autres parties nouvelles (où le compositeur se pille lui-même et emprunte à plusieurs de ses contemporains), mais conçues de manière bien différentes de ses autres œuvres sacrées : non plus une action essentiellement relatée à travers une série d’airs mettant en valeur des solistes, mais un récit essentiellement confié au chœur. Peut-être pour mieux assurer la soudure entre The Ways of Zion Do Mourn de 1737 et la partition de 1739, Haendel n’utilise les solistes que de manière fort parcimonieuse dans la deuxième partie, et c’est seulement dans la troisième qu’un semblant de parité revient, et encore.
 

François Saint-Yves © Bruno Moussier

Rapidement disparue des exécutions comme de la version imprimée, la première partie est ici omise, remplacée en guise d’ouverture par le concerto surnommé « Le Coucou et le rossignol » : François Saint-Yves y trouve l’occasion de briller dans le mouvement où l’orgue babillard imite les chants d’oiseaux. A la tête des forces instrumentales et chorales de son Concert Spirituel, Hervé Niquet (photo) s’empare de l’oratorio avec cette énergie dont il est coutumier, soulignant l’âpreté ou le pittoresque des figures évoquant successivement les plaies qui s’abattent sur l’Egypte (sauterelles, grenouilles, ténèbres…) et déchaînant la grosse artillerie quand l’armée de Pharaon poursuit les Hébreux. Evidemment, l’acoustique réverbérante de l’abbatiale de Saint-Antoine-l’Abbaye noie certains détails, moins peut-être à l’orchestre que pour le chœur : malgré son sujet, Israel in Egypt ne ressortit pas à la « musique d’église » et fut créé au King’s Theatre, Haymarket, dans une salle dédiée à l’opéra. Malgré la disposition adoptée, qui place les chanteurs de part et d’autre des instruments, avec altos et ténors tout près du public, sopranos et basses un peu plus en arrière, difficile ici de vraiment distinguer le texte qu’interprète le chœur, sauf dans quelques passages plus lents, plus graves et plus à découvert. On apprécie néanmoins la beauté des pupitres et leur investissement dans une partition qui leur accorde le premier rôle.
 

© Bruno Moussier

A Saint-Antoine-l’Abbaye, six solistes viennent épisodiquement occuper le devant de la scène, comme en 1739, où était réuni le gratin du chant haendélien, dont la Duparc alias la Francesina et le ténor John Beard. Tomislav Lavoie et Andreas Wolf n’interviennent que pour un impressionnant et virtuose duo/duel de basses. Melody Louledjian n’a pour se faire entendre qu’un duo où les sopranos font assaut de vocalises et de coquetterie (sur le texte « The Lord is my strength and my salvation »!). Sa consœur Florie Valiquette a la chance de pouvoir déployer ses aigus dans un air solo. Plus gâtés sont la mezzo Ambroisine Bré, contrainte d’exploiter les zones les plus graves de sa tessiture, et surtout le ténor Kresimir Spicer, narrateur auquel sont confié plusieurs récitatifs mais aussi quelques airs, dont « I will pursue, I will overtake » pris à un train d’enfer, comme si le chef avait décidé d’organiser une course entre l’orchestre et la voix soliste, compétition dont le chanteur sort victorieux.

Laurent Bury

Haendel : Israel in Egypt – La Côte-Saint-André (église abbatiale - Saint-Antoine-l’Abbaye), 21 août 2021
Diffusion sur Radio Classique le 22 août à 21h : bit.ly/3mkFBYb
Festival Berlioz, jusqu’au 30 août : www.festivalberlioz.com/
 
Photo © Guy Vivien
Partager par emailImprimer

Derniers articles