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Intégrale des Sequenze à la Salle Cortot – Brillante jeunesse pour Berio – Compte-rendu

 

 

 

2025 célèbre le centenaire de la naissance de Luciano Berio. Rien de surprenant donc à voir se multiplier les hommages au compositeur italien, des auditoriums de Radio France et de Lyon à l’amphithéâtre de l’Opéra de Paris. Mais c’est à la salle Cortot qu’a été adressée l’une des plus éloquentes pensées à Berio, lors de l’intégrale de ses Sequenze.
 

La liberté selon Berio

Dans ce vaste corpus pour instruments solo, composé entre 1958 et 2002, soit l’œuvre d’une vie, chaque Sequenza est un tour de force qui mène à un véritable corps à corps de l’artiste avec son instrument. Dans ces déclarations d’amour qui explorent – ou repoussent – les capacités de chaque instrument, entre contrainte extrême des annotations et l’impression éclatante d’absence de contrainte à l’écoute, Berio aurait-il, selon les mots du pianiste Pierre Venissac, « noté la manière exacte dont il entendait la liberté » ?

Artistes confirmés et garde montante

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Dans le cadre intimiste de la salle Cortot, ce sont des artistes confirmés par les scènes nationales et internationales, mais également des étudiants ou jeunes diplômés talentueux qui ont interprété, successivement, ces quatorze sommets du répertoire. Quelques coups de cœur parmi les représentants de la garde montante : citons tout d’abord le flûtiste Federico Altare (né en 1997), qui a ouvert le concert sur la Sequenza I avec une impressionnante maîtrise du texte. Jubilatoire et entêté, s’éloignant de toute velléité envoutante, le jeu du flûtiste italien a l’art de ne pas révéler ostensiblement la direction qu’il a choisi de prendre, mais dans laquelle on le suit les yeux fermés.
Entre stabilité et instabilité, les Sequenze passent par de multiples sentiments. C’est particulièrement le cas dans la troisième, dédiée à la voix féminine, et que la soprano lyrique Margaux Loire a servi comme un fantastique numéro mêlant pratique théâtrale et démonstration vocale. Volontairement intenables, évoquant l’enfant empêché de parler à l’adulte fou qui s’endort, ces huit minutes ont permis de saisir toute la richesse de l’écriture de Berio, tout comme le talent de Margaux Loire que l’on imagine volontiers dans les plus beaux rôles.

Outre la difficulté technique, l’intérêt de ces Sequenze réside dans l’attente de leur résolution. La fin de chaque pièce constitue un programme en soi, qui doit ramener l’instrument de l’ailleurs dans lequel il s’est aventuré. À la clarinette, le jeune Yan Mařatka (né en 2003) fait entendre un registre médium d’une superbe densité sonore. Auroral ou crépusculaire, toujours délicat, son jeu défend une musicalité inspirée qui affronte les soubresauts tempétueux de la partition, pour conclure la Sequenza IX dans un pianissimo vertigineux. Après ces premiers pas dans l’univers des Sequenze de Berio, Yan Mařatka s’affirme une fois de plus comme l’un des clarinettistes les plus prometteurs de la nouvelle génération.

Berio déconstruit l’imaginaire d’ordinaire prêté à chaque instrument pour établir un nouvel horizon. On découvre également la guitare hypnotique de Nestor Laurent-Perroto, qui n’oublie pas l’élégance au milieu des déflagrations, le lyrisme tapissé d’ambre du saxophoniste Pierre Faget, l’humour parfaitement calibré du tromboniste Romain Goupillon-Huguet ou encore l’énergie inépuisable de la violoncelliste Yi Zhou. Le concert a également été l’occasion pour les instrumentistes de se confier sur le rapport qu'ils entretiennent avec "leur" Sequenza – une oeuvre qui les suivra tout au long de leur carrière.

Antoine Sibelle
 

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Paris, Salle Cortot, le 2 novembre 2025

Photo © DR

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