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Inauguration de la Philharmonie de Paris – In extremis - Compte-rendu

 « Finally ! The first reharseal in the new Philharmonie de Paris ! The acoustics is Great ! Hallelujah ! » tweetait Paavo Järvi le 13 janvier moins de… 24 heures avant l’inauguration de la Philharmonie de Paris ! Vraie – et assez surréaliste … - course contre la montre donc pour arriver à tenir la fatidique date du 14 janvier : la soirée d’ouverture aura finalement eu lieu, mais dans un bâtiment qui est encore loin d’être terminé.
 
On peut comprendre l’agacement de Jean Nouvel qui a d’ailleurs boudé une inauguration où le Tout-Paris musical et politique se pressait – un vrai "résumé" de plus de trois décennies, de Jack Lang aux responsables actuels –  d’autant que le concert était précédé, dans l’une des salles de répétition, d’une intervention de François Hollande – arrivé in extremis de Toulon - mais aussi de prises de parole de Laurent Bayle et Anne Hidalgo.
 
Vint l’heure de se diriger vers la Grande Salle et donc de chercher son chemin dans de grands couloirs assez froidement éclairés pour enfin pénétrer en un lieu, vaste certes ( 2400 places) mais qui ne procure aucune sensation d’immensité écrasante.
 
Harmonieuse du point de vue de l’architecture et des matériaux utilisés, la Grande Salle de la Philharmonie est une sorte de grand cocon où il fait bon s'installer. Mais, même s’il n’est pas indifférent d’être assis dans un fauteuil confortable, venons-en à l’essentiel, l’acoustique d’une salle que la prestation de l’Orchestre de Paris et de son Chœur a permis de jauger à partir d’un programme très révélateur. Bien des réglages sont évidemment encore à effectuer, mais le bilan s’avère en tout cas très positif au terme de cette prise de contact. Remarquable spatialisation – on est à l’opposé de la frontalité de Pleyel - : le son est porté, une image claire, naturelle, aérée, chaleureuse de déploie. Deux mois après l’ouverture du superbe Auditorium de Radio France, les mélomanes parisiens ont décidément de la chance !
 
François Hollande et Manuel Valls honorent de leur présence un concert dédié à la mémoire des victimes des récents attentats terroristes. Dommage qu'une chaîne de télévision nationale n'ait pas jugé bon de retransmettre l'événement... Programme tout français avec d’abord Tuning up de Varèse que Paavo Järvi dirige avec un humour pince sans rire et un détachement feint, soignant le relief d’une pièce fourmillante où se glissent malicieusement des échos d’ouvrages plus fameux de l’auteur d’Amériques.
 

Paavo Järvi © DR

Excellente entrée en matière, qui vient rappeler que 2015 marque le cinquantenaire de la mort d’Edgar Varèse. Espérons que cet anniversaire contribuera à mettre le projecteur sur ce compositeur majeur et, par ricochet, sur son grand disciple français : André Jolivet.
 
Ecrit en 2001-2002 pour Anne-Sophie Mutter, Sur le même accord de Dutilleux résonne sous l’archet de Renaud Capuçon avec un mélange d’ardeur et de délicatesse et une grande attention du soliste aux coloris d’un Orchestre de Paris particulièrement complice. On savait la phalange en grande forme… mais peut-être pas à ce point. Pleyel bridait ou occultait des qualités qui peuvent désormais pleinement s’affirmer dans l’espace de la Grande Salle.
 
Moment d’émotion que les extraits (Offertoire, Pie Jesu, Libera me, In paradisum) du Requiem de Fauré, qui montrent un Chœur de l’Orchestre de Paris à son meilleur. Homogénéité, qualité d’intonation : le travail de Lionel Sow porte une fois de plus ses fruits. Järvi rejette tout « saint-sulpicisme » au profit d’une fervente simplicité - et ce avec des solistes de luxe (Sabine Devieilhe, simplement magique, et Matthias Goerne, toujours aussi fin musicien même si, dans l’absolu, son timbre convient mieux au répertoire germanique qu’à Fauré).
 
Toute de blanc vêtue, Hélène Grimaud retrouve l’Orchestre de Paris avec l’un de ces chevaux de bataille : le Concerto en sol de Ravel. Nous n’adhérons pas en totalité à une approche qui alanguit parfois un peu trop le propos, mais l’entente n’en est pas moins parfaite avec Järvi et l’accueil chaleureux du public conduit à bisser le finale. Quant à l’introduction du second mouvement, elle permet d’envisager avec confiance la perspective de récitals de piano dans la Grande Salle…

Thierry Escaich © Guy Vivien
 
Elaboré spécialement pour la soirée inaugurale, le Concerto pour orchestre de Thierry Escaich manifeste un art splendide dans le maniement des timbres (y compris de tout l’éventail offert par les percussions, très sollicitées). Plutôt que jouer sur des effets de masse, le compositeur préfère souvent tirer parti du potentiel offert par d’originales combinaisons chambristes. Entre mystère et humeur ludique, l’ouvrage, d’un seul tenant, se déroule avec une parfaite fluidité, les intermèdes entre les quatre mouvements venant relancer le discours dans ce qui s’apparente à une incessante fête des couleurs et des rythmes - rondement menée par Järvi !
 
Elles et ils sont aussi à l’honneur, ô combien !, dans la 2ème Suite de Daphnis dont la Danse générale, avec le Chœur, prouve que l’acoustique de Grande Salle est à même de supporter, sans une once de saturation ou de durcissement du son, de sacrés chocs dynamiques. Dans cette perspective on brûle d’impatience de bientôt y entendre Tugan Sokhiev diriger le Requiem de Berlioz avec ses musiciens toulousains et Orfeón Donostiarra (6 février).
 
D’ici là l’Orchestre de Paris aura beaucoup été sollicité, avec son actuel directeur musical (21 et 22/01), Christoph von Dohnányi (28 et 29/01) ou Esa-Pekka Salonen (4 et 5/02). Un vœu enfin : Paavo Järvi quittera la phalange parisienne en 2016 ; puisse-t-elle lui trouver un successeur capable de prolonger la dynamique qui la porte aujourd’hui. Sacré défi !
 
Alain Cochard
 
Paris, Philharmonie 1 ( Grande Salle), 14 janvier 2015
 
Photo © cafp-Charles-Platiau

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